[Compétition Officielle]
De quoi ça parle ?
De l’histoire d’amour de deux jeunes hommes du début du XXe siècle, Lionel et David, et de leur travail pour collecter et préserver des chants folkloriques sur le point d’être oubliés.
En 1917, Lionel (Paul Mescal) quitte son Kentucky natal et la ferme familiale pour entrer au conservatoire de Boston. Le jeune homme, qui n’a jamais connu d’autre cadre que son milieu rural, est un peu désorienté par le bouillonnement intellectuel et artistique de la ville quand il entre dans un piano-bar pour étudiants. Là, il a la surprise d’entendre un chant folklorique de sa région, joué au piano par David (Josh O’Connor), étudiant au conservatoire, comme lui, et apprenti compositeur. Coup de foudre immédiat, musical et sentimental. Ils deviennent amants, mais leur idylle est interrompue par l’entrée en guerre des Etats-Unis dans le conflit mondial. David est mobilisé. Lionel non.
Trois ans plus tard, les deux hommes se retrouvent et entreprennent un voyage de recherche dans les forêts et les îles du Maine, avec pour but d’enregistrer les voix locales et les chansons populaires qui se transmettent de génération en génération. Leur passion pour la musique est toujours aussi forte, et ils s’investissent pleinement dans ce projet, captant sur des cylindres phonographiques des moments de grâce et des rencontres avec des voix de l’Amérique profonde. Leur passion aussi est restée intacte, malgré la séparation, et donne lieu à des étreintes fusionnelles. Mais si Lionel voit dans leurs retrouvailles l’aube d’une longue et belle histoire, David, lui, profite de ce voyage comme d’un crépuscule, une ultime parenthèse enchantée avant de retomber dans les ténèbres, ces pensées sombres qui le hantent depuis son passage dans les tranchées.
Pourquoi on déchante ?
Oliver Hermanus est un cinéaste inconstant, capable du meilleur comme du pire. On avait apprécié, sans plus, Beauty, présenté à Un Certain regard en 2011, et Moffie, présenté à Orizzonti en 2019. Beaucoup moins La Rivière sans fin, thriller mâtiné de mélo, en compétition à Venise en 2015. Mais nous avions adoré Vivre, son dernier long-métrage, remake du film d’Akira Kurosawa transposé dans l’Angleterre des années 1950, qui réussissait à raconter l’histoire du personnage avec beaucoup de finesse, suscitant l’émotion sans pour autant tomber dans les effets mélodramatiques faciles. On pouvait légitimement s’attendre à ressentir des émotions similaires avec The History of sound, où le cinéaste procède de façon similaire, racontant par touches subtiles, avec beaucoup de pudeur, la passion amoureuse des deux personnages.
Hélas, cette fois-ci, cela fonctionne moins bien, car la principale qualité du film devient son principal défaut. Le cinéaste refuse toute sensiblerie, toute surcharge affective, mais ce dépouillement finit par assécher le film, qui peine à nous emporter comme il le devrait. A moins que ce ne soit l’effet de la langueur monotone du récit, combiné à la durée du film excessive – 2h07, ressenti 3h – qui finisse par anesthésier toute émotion.
Certes, cette façon de dilater le temps est totalement cohérente avec le sujet. Oliver Hermanus capte à son rythme, lentement, les fragments de cette relation et le périple de ses personnages au coeur la Nouvelle-Angleterre. Comme David et Lionel enregistrent patiemment les chants ancestraux sur leurs cylindres de cire, il saisit des instants suspendus, moments de grâce et de douceur dans un monde profondément marqué par les horreurs de la Première Guerre Mondiale et témoignages d’une histoire intime. Sur le papier, l’idée était intéressante. A l’écran, c’est plus hasardeux, dépendant beaucoup de l’endurance du spectateur et sa capacité à accepter de s’abandonner à ce rythme hypnotique. Si on joue le jeu, on peut trouver la première partie du film fascinante, très sensorielle, pleine de douceur et de douleur. A défaut, l’enchaînement de câlins gays et de chansons folk suscitera probablement davantage l’ennui. Le problème est encore amplifié sur la seconde partie, plus conventionnelle, évoluant vers un mélodrame plus prévisible, et menée sur un rythme tout aussi lent. Là, il faut lutter pour ne pas sombrer dans un sommeil profond et aller jusqu’au bout de l’histoire.
Ce n’est qu’à la toute fin du récit, dans l’ultime séquence, que le film finit par procurer un semblant d’émotion. C’est trop peu, et trop tard. On aurait aimé être bouleversés, secoués, mais on reste hélas trop à distance, vaincus par le classicisme du récit et sa lancinante torpeur.
Contrepoints critiques :
”Le récit est empreint d’une immense douceur, que la photographie, mettant merveilleusement en valeur la nature qui les entoure, renforce encore. De cette parenthèse qui n’est pas sans évoquer celle des pâturages du Secret de Brokeback Mountain, l’auteur titre un drame poignant”
(Olivier Bachelard – Abus de ciné)
”Une autre audace, c’est cette façon de toujours rester à distance de l’émotion, de ne jamais s’épancher, et de travailler ainsi une sorte de mélo aux yeux secs, qui prend le risque de laisser le spectateur à la porte.”
(Frédéric Foubert – Première)
”Il ne suffit pas d’un beau casting et d’une bonne histoire pour faire un grand film. (…) The History of Sound déçoit, malgré un sujet indéniablement intéressant et la présence de Paul Mescal”
(Sophie Joubert – L’Humanité)
Crédits photos : copyright Fair Winter LLC – images fournies par le service de presse du Festival de Cannes