[Cannes 2025] “Die My Love” de Lynne Ramsay

Par Boustoune

[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

De la dépression post-partum de Grace (Jennifer Lawrence), qui peine à s’habituer à sa vie de jeune maman mais aussi au nouvel environnement que son conjoint Jackson (Robert Pattinson) et elle ont choisi comme cadre de vie, une maison isolée aux fins fonds du Montana. Du moins, c’est ce qu’on comprend de ce récit étrange, déstructuré et non-chronologique, où fantasmes, délires et réalité s’entremêlent.
Grace pensait que ce déménagement dans un endroit calme lui permettrait de se remettre à écrire tout en profitant des premiers instants de sa maternité. Mais très vite, elle déchante. Dans cette vieille bicoque héritée de l’oncle de Jackson, décédé dans des conditions singulières, la jeune femme souffre de solitude et d’ennui. Jackson travaille assez loin de leur domicile et est peu présent pour elle et leur enfant. Et même quand ils se retrouvent, l’homme se montre distant, en tout cas incapable de satisfaire les pulsions érotiques de son épouse. Alors, elle déprime. Ceci se traduit par des phases apathiques, où Grace délaisse complètement les tâches ménagères et semble même parfois délaisser l’enfant, et d’autres, hyperactives, où elle a un comportement erratique. Elle se balade à quatre pattes en feulant comme une panthère, court partout, met la musique à fond et danse comme une damnée, se masturbe frénétiquement…
Mais ça, c’est pour le côté “soft”, relatif à sa dépression. Le hic, c’est qu’à cette mélancolie s’ajoute probablement une psychose – là encore, c’est ce que l’on déduit – qui se caractérise par un comportement plus inquiétant. Quand Grace commence à griffer les murs jusqu’au sang, se promener avec un couteau ou un fusil à la main, on ne peut s’empêcher d’envisager le pire pour elle, son bébé, ou son conjoint.

Pourquoi on n’est pas fous du film ?

Lynne Ramsay semble avoir fait des troubles mentaux le fil conducteur de sa filmographie.
Dans Ratcatcher, la perturbation se traduisait juste par une fugue mentale permettant au personnage d’oublier un temps sa misère et sa détresse sociale. Dans Le Voyage de Morvern Callarn, il s’agissait d’une errance psychologique plus sérieuse, un refus du réel répondant un refus d’accepter la mort d’un proche. Après les cas de Kevin, l’adolescent psychopathe, auteur d’une tuerie de masse (We need to talk about Kevin), et de Joe, l’ex-soldat souffrant de stress post-traumatique et, probablement, de schizophrénie (A beautiful day (1)), voilà qu’elle étudie le cas de Grace, femme en pleine dépression post partum et au bord de la psychose.

Cette fois-ci, la cinéaste a choisi une mise en scène qui épouse totalement le mental perturbé du personnage. D’emblée, elle crée une ambiance visuelle et sonore singulière, qui nous invite à nous demander si ce que l’on voit à l’écran est concret ou issu des délires de Grace. On se trouve dans une temporalité incertaine, entre instant présent, flashbacks et flash-forwards, et une tangibilité mouvante, entre fantasmes, délires, scènes oniriques à la symbolique parfois chargée et moments réels insolites. Cette variété, cet éclatement, semblent inviter le spectateur à faire l’effort de rassembler les morceaux de ce qui s’apparente à une sorte de puzzle mental. Sauf que les règles du jeu sont elles aussi brouillées. Lynne Ramsay, maligne, ajoute des pièces surnuméraires qui ne collent pas forcément avec le reste – les personnages secondaires joués par Sissy Spacek, Nick Nolte et LaKeith Stanfield, qui semblent eux-aussi un peu fêlés ; les crises de somnambulisme de Pam ; le suicide original de l’oncle de Jackson… Ainsi, elle brouille les pistes et donne au récit un côté imprévisible. On sent que celui-ci peut basculer dans l’horreur à tout moment, et la cinéaste écossaise s’amuse d’ailleurs avec les clichés du film de genre pour faire monter la tension.

Le problème, c’est que les fausses pistes ne font pas illusion bien longtemps, et que le film traîne un peu en longueur. Au bout de la cinquième crise du personnage principal, rôdant à quatre pattes comme une panthère et se cognant la tête contre les murs, on a envie de secouer ses proches pour qu’ils appellent l’asile psychiatrique. Même si Jennifer Lawrence fait vachement bien le fauve, on finit par se lasser.
Autre problème, et de taille, plus le film progresse, plus il se “simplifie”. Il devient plus linéaire, plus évident, plus démonstratif et la tension diminue au lieu de croître. Peut-être aurait-il fallu opter pour le cheminement inverse. Commencer par quelques éléments insolites, disséminés dans un récit linéaire, avant de basculer dans quelque chose de plus fou. On ne sait pas si la structure a été imposée par le roman dont le film est tiré (2), mais l’adaptation aurait sans doute pu être percutante. A l’écran, cette histoire génère surtout de la frustration. On ne ressent pas vraiment d’angoisse, ni de trouble, et on peine aussi à ressentir de la compassion pour ce personnage trop excessif pour être aimable.
Dommage, car Jennifer Lawrence s’investit beaucoup dans le rôle – physiquement et émotionnellement – et car la cinéaste a assurément du talent pour composer des plans grandioses et des ambiances singulières.

(1) : A Cannes, le film a été présenté sous le titre You Were Never Really Here
(2) : “Crève, mon amour” d’Ariana Harwicz – éd. Seuil

Contrepoints critiques :

”La réalisatrice n’en fait-elle pas un peu trop ? Et un peu trop longtemps ? Les deux heures de film s’avèrent également dures voire pénibles pour le spectateur. Les frasques de Grace et les effets de mise en scène fatiguent à la longue, annihilant malheureusement le plaisir total de la projection.”
(Mathieu Payan – Abus de ciné)

”Lynne Ramsay n’a pas son pareil pour dépeindre la détresse, inventant une grammaire cinématographique fluide, onirique pour exprimer la tempête dans l’esprit de Grace.”
(Richard Lawson – Vanity Fair)

”Die My Love is beyond expectations. The story of the solitude of a woman abandoned by her husband, anchored in her house, flanked by a child and a dog. This is where madness and imagination begin. Masterpiece.”
(FantasyMusicWorld @FMWMusic sur X)


Crédits photos : Copyright Black Label Media – images fournies par le service presse du Festival de Cannes