[Compétition Officielle]
De quoi ça parle ?
De la genèse et du tournage d’A bout de souffle, l’un des films phares de la Nouvelle Vague du cinéma français à la fin des années 1950.
En mai 1959, Jean-Luc Godard (Guillaume Marbeck), l’une des plumes les plus incisives et fielleuses des Cahiers du Cinéma, voit progressivement tous ses collègues passer à la réalisation, avec plus ou moins de bonheur. Chabrol a déjà réalisé deux films, Rivette et Rohmer aussi (non sortis en salle, mais ils sont tout de même passé de l’autre côté), et Truffaut (Adrien Rouyard) s’apprête à présenter son premier long-métrage, Les Quatre-cents coups, en compétition à Cannes. Alors, ça le démange aussi un peu, forcément. Il a déjà l’idée d’une comédie musicale engagée, et d’un scénario épatant baptisé “Prénatal”, mais il ne parvient pas à convaincre les producteurs (Il finira par par le réaliser sous le titre Une femme est une femme, deux ans plus tard). Le succès du film de Truffaut (prix de la mise en scène à Cannes) change la donne. La Nouvelle Vague se met à intéresser certains financiers comme Georges de Beauregard (Bruno Dreyfürst), qui a déjà produit les films de Pierre Schoendoerffer et Juan Antonio Bardem. Celui-ci consent à donner sa chance à Godard, à la seule condition de porter à l’écran un scénario que le jeune homme a coécrit avec Truffaut, l’histoire d’un voyou en cavale.
Godard accepte le deal et se lance pleinement dans la bataille. Il recrute son équipe technique, à commencer par Raoul Coutard (Matthieu Penchinat), qui deviendra son chef-opérateur attitré. L’homme n’est pas cinéphile. Il ne sait pas, par exemple, qui est Bergman, mais il a réalisé des films de guerre en Indochine et est donc parfait pour le film-guérilla que Godard entend réaliser. Il s’adjoint aussi les services de Pierre Rissient (Benjamin Cléry), figure bien connue de la cinéphilie parisienne de l’époque, comme assistant Le cinéaste choisit aussi ses acteurs. Il fait confiance, comme promis, à Jean-Paul Belmondo (Aubry Dullin) dont c’est le premier long-métrage, et réussit à convaincre Jean Seberg (Zoey Deutch), star du moment – elle a enchaîné Sainte Jeanne et Bonjour tristesse pour Otto Preminger). La préparation se déroule parfaitement bien.
Mais, au moment du tournage, Godard adopte le comportement anticonformiste qui caractérisera son cinéma. Il écrit les dialogues au jour le jour, selon l’inspiration du moment, ne les donne pas à lire aux acteurs, obligés d’improviser ou de répéter les mots que leur souffle le cinéaste. Le réalisateur rembarre la maquilleuse de Seberg, s’embrouille avec les accessoiristes et les costumiers. Et surtout, il tourne à son rythme, enchaînant les scènes sans logique, sans respecter les raccords. Parfois, la journée de tournage ne dure qu’une ou deux heures, parfois elle ne démarre même pas. Godard rend fou son producteur, son équipe, mais reste fidèle à sa conception du septième art et à son envie de casser les codes narratifs.
Le résultat, vous le connaissez : un succès en salle, un film devenu emblématique de la Nouvelle Vague, récompensé à la Berlinale (Ours d’argent du meilleur réalisateur), prix Méliès, prix Jean Vigo ; le début d’une carrière incroyable pour Jean-Paul Belmondo, et d’une autre, très libre et radicale, pour Jean-Luc Godard.
Pourquoi on surfe sur la “vaguelette” ?
Ecrit à quatre mains par Vince Palmo, Holly Gent, Michèle Halberstadt et Lætitia Masson, Nouvelle Vague est une comédie plaisante qui rend hommage avec tendresse et humour au groupe qui a réussi à bouleverser la création cinématographique française dans les années 1960, et principalement à JLG, qui en a été le représentant le plus radical.
La Nouvelle Vague, mouvement artistique en réaction à un cinéma d’après-guerre totalement formaté, a inspiré beaucoup de cinéastes en Europe et a été assez puissante pour déferler jusqu’en Amérique, où elle continue de faire fantasmer les cinéastes. La preuve, c’est le texan Richard Linklater qui se retrouve aux manettes de ce film. Il est vrai que le cinéaste américain est lui-même un cinéaste assez original, qui évolue en marge de Hollywood pour proposer chaque fois des films différents. A la dernière Mostra, il avait proposé une savoureuse comédie noire mâtinée de thriller, Hit Man, et avant cela, il avait signé Apollo 10 1/2, un film animé par rotoscopie à partir de prises de vue réelles. Et par le passé, il avait réalisé des oeuvres comme le dyptique Before Sunset / Before Sunrise, Boyhood, Slacker ou Rock Academy. Une filmographie éclectique, qui montre une envie de s’affranchir d’un style prédéfini, d’un genre ou d’une catégorie.
Linklater ne possède certes pas le génie de Godard pour transformer son scénario en un grand film. Mais il ne possède pas non plus cette radicalité anarchique qui rendait les derniers films de Godard assez abscons et insupportables. Il signe une oeuvre soignée, portée par un amour pour le Septième Art que l’on devine sincère et profond. C’est vraiment cela qui ressort du film, la passion pour le cinéma, à la fois art majeur, au confluent de tous les autres arts, et métier de saltimbanques, où tout est façonné de façon artisanale. On se régale des anecdotes de tournage, comme l’astuce pour filmer sur les Champs-Elysées sans autorisation, de cacher le chef opérateur dans un triporteur ; la visite sur le tournage de Roberto Rossellini ; le caméo de Godard, le petit rôle de Jean-Pierre Melville ; les crises de Jean Seberg, qui, habituée à la rigueur des tournages hollywoodiens – et au comportement tyrannique de cinéastes comme Preminger – se demande sans cesse où elle est tombée, tant son metteur en scène se montre dilettante et imprévisible… Les cinéphiles seront sûrement aux anges de tous ces clins d’oeil. Et que ceux qui ne sont pas experts en cinéma français des années 1950/1960 ne s’effraient pas. Le film présente en effet chaque protagoniste, dont les noms sont tous associés à l’histoire du Cinéma.
La principale qualité du film, outre ce bel hommage au cinéma, c’est d’avoir réussi à trouver l’alchimie des personnages, comme Godard l’avait fait avec Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo. C’est d’autant plus admirable que Richard Linklater tourne avec des comédiens presque tous inconnus, dans une langue qui n’est pas la sienne. Généralement, quand un cinéaste étranger tourne dans la langue de Molière, cela pose des problèmes de justesse de jeu ou de ton. Ce n’est pas le cas ici. Tout est parfaitement fluide, naturel. Mieux, les acteurs réussissent tous à trouver les justes intonations, les bonnes postures, le phrasé caractéristique de Godard, Truffaut, Chabrol ou Bebel, ce qui permet très vite d’adhérer aux tribulations de cette « bande à part ». Seul personnage anglophone, Jean Seberg est incarnée, pour plus de crédibilité, par une actrice américaine, Zoey Deutch (la fille de Lea Thompson et du cinéaste Howard Deutch). Bonne pioche, là-encore. La comédienne se glisse dans la peau de Jean Seberg avec un mimétisme bluffant.
On surfe donc sans problème sur cette Nouvelle Vague… ou plutôt cette “vaguelette”. Car tout ceci pourrait sembler assez léger au regard du reste de la compétition cannoise. Certes, le sujet rejoint celui d’autres films de la compétition, qui cherchent avant tout à payer leur tribut au Septième Art (Resurrection, The Secret Agent…) et est tout à fait acceptable sur le fond. Mais la forme, elle, peut poser problème. Le film est très soigné, avec une très belle photographie en noir et blanc, des mouvements sobres, mais élégants, mais ne se distingue ni par son inventivité, ni par sa maestria technique, ni par son audace au montage. Pour caricaturer, on a un peu l’impression que c’est du « cinéma de (grand) papa » qui a été utilisé pour rendre hommage à une œuvre qui cherchait justement à s’affranchir. Et d’aucuns trouveront cela assez regrettable.
Cependant, ne boudons pas notre plaisir. Les comédies rythmées, vives et drôles sont suffisamment rares pour être ignorées. Et Nouvelle Vague donne sacrément envie de (re)découvrir les oeuvres de cette époque ou même de prendre une caméra et réaliser ses propres films – radicaux ou non. De quoi susciter des vocations de critiques en herbe ou de futurs lauréats de la Palme d’Or. C’est donc une oeuvre intéressante, qui avait toute sa place dans l’écrin de la sélection officielle.
Contrepoints critiques :
”Richard Linklater explose l’image intello de la Nouvelle Vague avec un film à la fois savant et distrayant. Cette leçon de cinéma est une vraie bouffée d’oxygène dans la compétition jusqu’ici plutôt sombre de cette 78e édition.”
(Laurence Houot – France info)
”Bon moment devant Nouvelle Vague de Richard Linklater, retraçant avec une précision et un respect de pur cinéphile la genèse d’À Bout de Souffle. Casting, mise en scène, photo, prod design… manque juste un regard plus personnel pour en faire un vrai bon film !”
(@LInfoToutCourt, sur X)
Crédits photos : copyright Jean Louis Fernandez – image fournie par le service de presse du Festival de Cannes