[Compétition Officielle]
De quoi ça parle ?
De quatre adolescentes hébergées dans une maison maternelle, en Belgique. Elles sont toutes jeunes mamans ou sur le point d’accoucher, en proie à des difficultés sociales et ont besoin de soutien pour apprendre à s’occuper de leur enfant et décider de ce qu’elles vont faire ensuite, le garder et construire un avenir commun ou le placer dans une famille d’accueil.
Il y a d’abord Jessica (Babette Verbeek), qui n’a pas encore accouché qu’elle appréhende déjà la suite. Va-t-elle être à la hauteur en tant que mère ? Saura-t-elle s’occuper correctement de l’enfant ? Et surtout, l’aimera-t-elle ? Abandonnée elle-même à la naissance par sa mère (India Hair), l’adolescente cherche à retrouver cette dernière pour comprendre les raisons de son renoncement.
A l’inverse, Ariane (Janaïna Halloy Fokan) n’a pas été abandonnée par sa mère (Christelle Cornil), mais aurait préféré, histoire de ne pas subir ses errances, la violence des hommes qu’elle amenait à la maison, les conditions de vie miséreuses dans lesquelles elle a grandi. Elle ne veut pas que son enfant ait à connaître la même vie et envisage donc de le confier à un couple aisé, qui saura mieux l’éduquer et l’accompagner.
Perla (Lucie Laruelle) est heureuse d’avoir eu son bébé et envisage avec détermination l’avenir. Elle veut se mettre en ménage avec son copain, tout aussi jeune qu’elle, trouver un appartement et fonder une vraie famille. Mais le jeune homme semble bien moins mature qu’elle et n’envisage pas d’assumer son rôle dans la structure dont elle rêve.
Julie (Elsa Houben) a plus de chance avec son compagnon. Sérieux, attentionné, il est prêt à l’aider. Mais c’est elle qui est plus fragile. Elle aimerait que ses vieux démons, ses addictions, soient définitivement derrière elle. A la maison maternelle, il n’y a aucun problème. Elle tient bon. Mais une fois dehors, confrontée au quotidien, aux tentations ?
A en croire le synopsis et la bande-annonce, il y a aussi une cinquième histoire, celle de Naïma, qui vit aussi dans cette maison maternelle, mais elle n’est quasiment pas développée et n’apporte rien de plus à ces quatre récits.
Pourquoi on a envie de jeter bébé avec l’eau du bain ?
Bon, précisons d’emblée que, non, le nouveau long-métrage des frères Dardenne n’est pas du tout à jeter à l’égout. C’est une vile provocation de notre part.
C’est, comme toujours, un film parfaitement maîtrisé, dans la veine de ce cinéma social qui les a fait connaître et qui a donné quelques pépites comme Rosetta, Palme d’Or en 1999, Le Gamin au vélo ou Deux jours, une nuit. Il va à l’essentiel, sans fioritures stylistiques, et s’appuie sur de jeunes comédiennes très naturelles, très justes, qu’ils filment toujours à bonne distance. Reconnaissons-leur aussi d’avoir réussi à signer un film choral très bien équilibré (à condition d’oublier cette cinquième histoire pas du tout développée), qui traite avec une égale finesse les quatre arcs narratifs complémentaires.
Rien à redire, donc, sur les qualités esthétiques et artistiques du film. Notre provocation tient surtout au ras-le-bol de voir les frères Dardenne squatter incessamment la compétition cannoise, depuis trente ans, en y accumulant des prix pas toujours mérités. On a l’impression qu’ils auront leur place garantie dans la sélection, quel que soit le film, jusqu’à ce qu’un jury finisse par leur accorder leur troisième Palme d’or.
Le problème, c’est qu’ils ne prennent jamais aucun risque. C’est du cinéma totalement formaté, qui repose sur le même style, avec le même genre d’histoires, le même environnement social, la même fausse modestie. Si on fait le parallèle avec Ken Loach, l’autre grand artisan du cinéma social, mais Outre-Manche, on constate que celui-ci ne propose jamais tout à fait la même chose. Le cinéaste britannique signe alternativement des comédies, des drames, des films historiques, et ses sujets sont plus ciblés sur des problématiques (les tracasseries administratives de Daniel Blake, l’ubérisation de la société, les dangers de la privatisation des chemins de fer…). Jean-Pierre et Luc Dardenne, eux, semblent se contenter de choisir de jeunes personnages et de déverser sur eux toute la misère du monde. Ici, l’avantage, c’est qu’elles sont quatre à supporter la charge, sinon, ce serait assez insupportable. Elles doivent se confronter, en vrac, à une vie de misère, au chômage, à la difficulté de trouver de l’argent et un logement, à des hommes absents, à des addictions en tout genre (alcool, drogue…) et des relations familiales complexes, quand elles ne sont pas inexistantes. La barque est, comme souvent, particulièrement chargée. Chez d’autres, plus patauds et adeptes du pathos, on trouverait cela terriblement misérabiliste et écoeurant. Chez les Dardenne, ça passe, car ils sont constamment sur le fil, compensant par l’épure de leur mise en scène l’excès mélodramatique des situations qu’ils décrivent. Et cela fonctionne toujours, car, à moins d’avoir un coeur de pierre, on ne peut qu’éprouver de la compassion pour ces personnages confrontés aux pires épreuves. Mais, au bout d’une dizaine de films, on commence à connaître les vieilles ficelles mélodramatiques mises en oeuvre, et le côté “cinéma-vérité” tant loué à leurs débuts devient un peu trop factice pour être honnête.
Il n’y a pas grand-chose à dire sur ces Jeunes mères. C’est un film efficace, bien mené, mais très didactique et sans aucune prise de risque artistique. C’est du bon cinéma, d’accord, mais au regard des autres oeuvres présentées durant la quinzaine, ce n’est pas forcément ce que l’on attend d’une Palme d’or, ni même d’un film en compétition officielle à Cannes.
Contrepoints critiques :
”Luc et Jean-Pierre Dardenne abandonnent ici leur légendaire et précis contrôle au profit d’un lâcher-prise. Moins de prises, plus d’attente. Moins de maîtrise, plus d’acceptation. Le chaos de la naissance y est accueilli avec douceur, la fiction y devient perméable au vivant. Le cinéma, enfin, cède la place à la vie.”
(Nathalie Chifflet – Le Dauphiné Libéré)
”Jeunes Mères regarde, sans mysticisme aucun, ni sadisme bien évidemment, le malheur se produire. Le rôle du film n’est autre que de poser son regard à la bonne distance – à la fois tout près et à une distance indicible, une sorte de troisième personne qui a toujours été la pudeur salutaire des Dardenne.”
(Théo Ribeton – Les Inrockuptibles)
”Entre documentaire et fiction, entre optimisme et pessimisme, la permanente volonté de compromis des Dardenne pétrifie leur film.”
(Nicolas Marcadé – Les Fiches du Cinéma)
Crédits photos : copyright Christine Plenus – image fournie par le service presse du Festival de Cannes