[Cannes 2025] Jour 12 : Vers un avenir doré

2025_CANNES_SIGNATURES_WEB_COULEUR 3_1200x1200Le 78ème Festival de Cannes a pu se terminer comme prévu, avec la cérémonie de clôture et la remise de la Palme d’Or.

Comme évoqué hier, ce ne fut pas sans quelques perturbations. Une panne électrique géante, causée par des actes malveillants, a paralysé la ville pendant plusieurs heures et provoqué l’annulation de plusieurs projections en dehors du Palais des Festivals, qui avait anticipé le problème avec des groupes électrogènes.
Laurent Lafitte a de nouveau endossé le costume de maître de cérémonie, mais cette fois-ci, il n’a pas eu l’occasion de se lancer dans de longs discours enflammés sur le cinéma, les acteurs et l’état du monde, car une cérémonie de clôture, cela veut dire plusieurs remises de prix, des discours de remerciements. Pas le temps de plaisanter ! Place au palmarès !

Celui-ci, comme souvent, va diviser.
Nous n’avons pas grand chose à dire sur les courts-métrages, que nous avons lâchement délaissés, ni sur la Caméra d’Or, attribuée à The President’s cake, film que nous n’avons pas encore rattrapé, mais qui est auréolé d’un bouche-à-oreille très flatteur. La mention de la Caméra d’or, le film My Father’s shadow, a également été bien accueilli par le public cannois.
Pour la compétition officielle, nous avons été déçus que Bi Gan monte si tôt sur scène. Le cinéaste chinois ne repart qu’avec un prix spécial du jury, alors qu’il méritait la Palme d’Or. C’est souvent comme cela, hélas, avec les films complexes, les récits oniriques et psychanalytiques, les oeuvres qui basculent dans le fantastique. Tous les jurés n’adhèrent pas forcément à ces oeuvres qui obligent à un effort de compréhension et d’analyse, un peu rude quand on arrive à la fin de la programmation, après les vingt concurrents. Pour un Oncle Boonmee, combien de Enter the void, de The Neon Demon ou de Mulholland drive se sont retrouvés écartés des prix principaux , quand ils n’ont pas été purement et simplement ignorés par le jury. Pourtant, c’est bien Mulholland Drive qui a secoué Coralie Fargeat au point de l’inciter à devenir réalisatrice, en 2001, pas La Chambre du fils (qu’on aime bien aussi, hein, mais dans une moindre mesure). La cinéaste a raconté cette anecdote en venant remettre un des prix sur scène. Bon, tant pis pour Bi Gan. On se consolera en se disant qu’il figure au moins parmi les films primés.

Deuxième film qui aurait pu prétendre à mieux, Sirât, d’Oliver Laxe, qui nous avait bien bousculés en début de quinzaine. Il repart avec le prix du jury, ex-aequo avec The Sound of falling de Mascha Schilinski. Mais c’est assez logique, vu que ce prix est généralement dédié à des oeuvres qui abordent un sujet ou un genre avec originalité.
On accepte aussi la décision de faire figurer L’Agent secret de Kleber Mendonça Filho au palmarès. Il faisait partie des bonnes surprises de la compétition après son décevant Bacurau, mais on lui aurait davantage remis un prix pour son scénario ou un prix spécial pour le jeu de jambe (quand vous verrez le film, vous comprendrez). A la place, le film est honoré deux fois : par le prix de la mise en scène et par le prix de la meilleure interprétation masculine donné à Wagner Moura. Il n’y a aucun scandale à cela, mais on peut trouver que cela fait beaucoup pour un seul film, d’autant qu’il y avait d’autres performances de même calibre, voire supérieures.
Pour le prix d’interprétation féminine, c’est probablement un moyen de primer le film d’Hafsia Herzi. La jeune Nadia Melliti est impeccable dans La Petite dernière, et est promise à un bel avenir si elle réussit à surmonter sa timidité tout en conservant son naturel. On préfère cependant la performance, une nouvelle fois XXL, de Renate Reinsve dans le film de Joachim Trier – mais elle a remporté le prix en 2021   celle de Parinaz Izadyar dans Woman and child, reparti bredouille, ou encore de Léa Drucker.  Sa double performance dans Dossier 137  et L’intérêt d’Adam aurait bien mérité d’être récompensée. Un jour, peut-être…

Là où on s’agace, c’est de voir les frères Dardenne récompensés une nouvelle fois sur la Croisette. A chaque fois, ils repartent avec un prix. Rosetta ? La Palme d’Or et le prix d’interprétation féminine pour Emilie Dequenne. Le fils ? Prix d’interprétation masculine pour Olivier Gourmet. L’enfant ? Re-Palme d’Or. S’ensuivront un Prix du scénario, un Grand Prix, un Prix de la mise en scène et même un prix spécial inventé pour eux. Ils ne sont repartis que deux fois bredouilles, pour La Fille inconnue, qui ne méritait rien, et pour Deux jours, une nuit qui aurait mérité de figurer au palmarès, pour le coup.
Et là, ils gagnent à nouveau un prix pour… le scénario. Quoi ? Pour le scénario ? C’est une blague ? Non seulement ils l’ont déjà eu une fois et pourraient laisser la place à d’autres, mais en plus, ce nouveau film ne mérite absolument pas un prix pour son “scénario”, succession de petites tranches de vie qui frôlent souvent l’excès de misérabilisme.
Oh, les frangins, vous avez encore de la place sur vos étagères ? Vous voulez vraiment collectionner tous les prix possibles ? Où va s’arrêter cette boulimie ? A la Queer Palm ? A la Palme Dog ?
Vous savez quoi, prenez votre retraite. On vous placera dans un EHPAD et on viendra vous observer pour écrire une histoire sur vos mésaventures. Pour le film qui en sera tiré, vous aurez un double prix d’interprétation, nous un prix du scénario. Gagnant-gagnant…

Sinon, bon choix pour le Grand Prix remis à Valeur sentimentale. Nous avons beaucoup aimé ce film bergmanien, qui entraîne une solide brochette de comédiennes dans un récit complexe, autour de blessures d’enfance, d’incommunicabilité entre deux personnes dont la communication est pourtant le métier, de vieux secrets… Et un choix assez logique pour la Palme d’Or remise à Jafar Panahi.  Un simple accident est une oeuvre bien ficelée, qui exploite parfaitement son idée de départ pour montrer les conséquences de dizaines d’années de régime religieux autoritaire, entre les victimes en souffrance, traumatisées par les menaces, les séances de torture, les emprisonnements, et les anciens bourreaux, effrayés que certains puissent avoir l’idée de se venger d’eux. Et surtout, un film qui oppose la douceur à la barbarie, le pardon à la violence et prend ainsi, en plus de sa portée locale déjà courageuse, une dimension universelle.
Même si d’autres films nous ont davantage enthousiasmés, Un simple accident propose une Palme d’Or en phase avec l’air du temps, alors que des conflits éclatent partout sur la planète, que des démocraties sont menacées par les progrès électoraux de populistes dangereux. Une Palme utile, en quelque sorte. Et méritée, car le parcours de cinéaste de Jafar Panahi est aussi semé de “simples accidents”, des accidents qui l’ont fait remarquer, et d’autres qui l’ont conduit plusieurs fois en détention. Plus on a essayé de le faire taire, plus il s’est accroché et s’est battu pour envoyer ses films à Cannes et dans d’autres grands festivals.
Jafar Panahi n’a peut-être pas remporté deux Palmes d’Or, comme les frères Dardenne, mais il a désormais réussi le grand chelem : Lion d’Or à Venise (Le Cercle, en 2000), Ours d’Or à Berlin (Taxi Téhéran, en 2015) et maintenant Palme d’Or à Cannes. sans oublier un Léopard d’Or à Locarno (Le Miroir), une Caméra d’Or (en 1995, pour Le Ballon blanc), un Prix du Jury Un Certain Regard (Sang et Or), un Prix du scénario (Trois visages);  deux Ours d’argent (Grand Prix pour Hors-jeu, prix du scénario pour Pardé); un prix du Jury à la Mostra (No Bears). Lui aussi, tous ses films ont remporté un prix dans des festivals prestigieux.
Le cinéaste iranien fait désormais partie des très grands auteurs du Septième Art. Espérons que cela le protégera mieux, à l’avenir, de la fureur des autorités de son pays. Jafar Panahi est libre, mais pourrait être de nouveau inquiété pour ce film réalisé sans l’accord de la République islamique, dans lequel les femmes ne portent pas le hijab et le cinéaste attaque directement et frontalement les services de renseignements.

Les discours des artistes primés ont heureusement donné un peu de hauteur à une cérémonie assez terne. Ce format, qui demande à des acteurs ou des cinéastes de remettre des prix annoncés par un membre du jury, est un peu lourd et provoque des moments gênants, car chacun des remettants se croit obligé de faire un petit discours, parfois maîtrisé et adéquat, parfois à côté de la plaque. Celui de Claude Lelouch était particulièrement raté : décousu, confus, hésitant. Il aurait mieux valu faire dire directement un petit speech à l’un des cinéastes du jury pour expliquer le prix, car là cela a plombé la fluidité de la cérémonie et placé le réalisateur d’Un homme et une femme dans l’embarras. Chabadabadaboum !
Autre source d’agacement lors de la cérémonie, la technique. Les bruits de micros, les parasites, les choix de plans inadaptés pour illustrer tel ou tel discours. Depuis que c’est Brut qui gère la diffusion, c’est un peu… brutal.

Puisque depuis quelques années, il n’y a plus de film de clôture et que nos dernières séances de rattrapage ont été annulées, terminons avec deux films dont nous n’avons pas encore parlé.
D’abord, La Misteriosa mirada del flamenco, de Diego Cespedes, qui a remporté le Prix Un certain Regard 2025. Le film traite d’un sujet qui a beaucoup été abordé depuis le début de ce festival. Devinez ? Eh bien oui, le SIDA.
Ici, c’est le mal mystérieux qui frappe les habitants d’une petite ville minière perdue dans le désert chilien, au début des années 1980. L’intrigue se déroule essentiellement autour d’un cabaret, refuge d’une communauté de travesties flamboyantes, portant toutes des surnoms d’animaux : Mama Boa, Lionne, Aigle, Piranha, Chinchilla et Flamenco (flamant rose, en espagnol). Elles ont sans doute fui la dictature de Pinochet, très rude vis à vis de tous ceux qui s’avéraient “différents”, pour s’installer dans un coin désertique. Et pour les mineurs locaux, elles constituent aussi la seule distraction. Ceci explique l’attitude ambiguë des habitants vis-à-vis de ces travesties. Le jour, elles sont honnies, méprisées, insultées. Mais la nuit, avec l’alcool embrumant les esprits, elles se transforment en objet de désir envoûtants. Un soir, un homme vient perturber le show de Flamenco et l’accuser de lui avoir transmis le mal qui le ronge. Depuis quelque temps, une curieuse forme de peste frappe la communauté, qui a perdu plusieurs de ses membres. Et, comme le souligne un personnage, pour une travestie qui meurt, quatre mineurs succombent du même mal. Il n’en faut pas plus pour faire naître une curieuse légende, alimentée par l’ignorance, l’obscurantisme et la culpabilité. Ces créatures fantastiques auraient le pouvoir de séduire les hommes et leur transmettre le mal juste en plongeant leur regard électrique dans leurs yeux.
Toute cette histoire étrange, à la fois cruelle et merveilleuse, est vue à travers le regard de Lidia, la fille de Flamenco, une gamine de onze ans encore innocente, qui se pose beaucoup de questions sur cette peste qui lui enlève tous ceux qu’elle aime, sur l’avenir de la communauté et sur son propre devenir.
Le film de Diego Cespedes s’avère aussi étrange et haut en couleurs que ses personnages. Il entrelace mélodrame, thriller, western et film fantastique avec plus ou moins de bonheur. On préfère, sur le même sujet, le Romeria de Carla Simon, hélas reparti “fanny” du festival. Mais on préfère aussi, et de loin, la façon avec laquelle Diego Cespedes parle de la maladie, comparé à Alpha, de Julia Ducournau.
Ici, ce qui séduit le plus, c’est le travail sur l’image. Le film propose des scènes sublimes, portées par la mise en scène de Diego Cespedes, sa science du cadre, et à la photographie somptueuse d’Angello Faccini. Pour un premier long-métrage, c’est assez remarquable et permet de nourrir de belles promesses pour la suite.

Ensuite, nous avons vu, hors compétition, La venue de l’avenir de Cédric Klapisch, qui s’est avéré être une belle surprise.
Non pas que nous doutions du talent de ce cinéaste qui, depuis Riens du tout, a su mener une belle carrière, entre cinéma populaire et films d’auteur. Mais pour être honnêtes, le principe du récit choral sur deux époques, avec une dizaine de personnages, nous laissait craindre une oeuvre indigeste et difficile à suivre. Finalement, l’ensemble est très bien mené et fort plaisant.
On accompagne déjà un groupe de personnes qui viennent d’hériter d’une maison abandonnée en Normandie. Seb (Abraham Wapler), Guy (Vincent Macaigne), Céline (Julia Piaton) et Abdel (Zinedine Soualem), cousins éloignés qui ne se connaissent pas du tout, sont désignés pour représenter les ayants droit et font le voyage vers la Normandie. En explorant les lieux, ils découvrent des objets ayant appartenu à leur ancêtre Adèle Vermillard (Suzanne Lindon), dont un tableau de style impressionniste, un curieux motif peint sur une toile et des photographies saisissantes.
Par un saut temporel, on voit ensuite Adèle faire le chemin inverse. En 1895, elle quitte sa campagne natale pour Paris, à la recherche de sa mère (Sara Giraudeau), qui l’a abandonnée plusieurs années auparavant, et croise en chemin deux jeunes hommes, tous deux artistes, l’un photographe, l’autre peintre. Le film alterne alors entre les deux époques avec fluidité, dévoilant les parallèles et les contrastes entre les vies d’Adèle et de ses descendants.
La venue de l’avenir se mue en une belle réflexion sur la transmission et la mémoire, au sein de la famille, mais aussi, d’une manière générale, au sein de la société, par la préservation du patrimoine immobilier et artistique et la transmission des valeurs fondamentales. Il nous incite à regarder vers le passé pour mieux construire l’avenir, et nous invite à nous ouvrir au monde alentour, faire des rencontres et profiter de la beauté des choses.
Finalement, c’est lui le vrai film de clôture de cette édition 2025 du Festival de Cannes. Il est en osmose avec les missions du Festival de Cannes, qui propose des oeuvres contemporaines ou anciennes, des films qui parlent du passé pour mieux se focaliser sur les problèmes récents, qui offre, durant quinze jours, des émotions fortes, qui porte haut les valeurs de l’Art et qui rassemble des cinéphiles de tous les pays, de tous les sexes, de toutes orientations politiques, permettant le dialogue et l’échange autour d’une même passion. De quoi trouver l’amitié ou le grand amour.
Il est promis lui aussi à un bel avenir, et déjà à une 79ème édition qui sera, à n’en pas douter, aussi passionnante.

Merci d’avoir suivi nos chroniques cannoises, et à l’année prochaine – on l’espère – pour d’autres aventures.