Troisième long métrage du réalisateur-scénariste americano-bulgare Konstantin Bojanov après "Avé" (2012) et "Gambit" (2022). Il a eu envie d'écrire son histoire après avoir découvert le livre "Neuf Vies" (2010) de l'écrivain et historien William Dalrymple qui a vécu des années en Inde. Un film qui est aussi une gageure pour le cinéaste qui va tourner son film entièrement en hindi. Bojanov cite deux références et inspirations pour son film, "Vol au-dessus d'un Nid de Coucou" (1975) de Milos Forman pour sa structure narrative et la dynamique entre les personnages, puis "Le Mépris" (1964) de Jean-Luc Godard pour les visions sous filtres. Le film fut présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard où l'actrice principale Anasuya Senggupta a reçu le prix d'interprétation...
Une nuit, Nadira fuit Dehli après avoir poignardé un policier. Elle se cacher dans une communauté de prostituées dans le nord de l'Inde et y rencontre Devika, une jeune femme que sa mère veut marier de force. Ensemble elles vont essayer de se rebeller contre une société patriarcale qui les prive de liberté autant que de leur libre-arbitre... Nadira est incarnée par Anasuya Sengupta aperçue dans les films "Madly Bangali" (2009) de Anjan Dutt, "The Waiting City" (2009) de Claire McCarthy, "Sugar Baby" (2011) de Trisha Ray avant de passer en coulisse en tant que architecte en décoration sur plusieurs tournages, ce film signe donc un retour quasi imprévu devant la caméra, tandis que Devika est incarnée par Omara apparue auparavant uniquement dans "Phone Bhoot" (2022) de Gurmmeet Singh. Citons ensuite Mita Vashisht vue dans "Pitaah" (2002) de Mahesh Manjrekar, "Trishna" (2011) de Michael Winterbottom, "Rahasya" (2015) de Manish Gupta ou "Akaal : the Unconquered" (2025) de Gippy Grewal, Auroshikha Dey vue dans "Myoho" (2012) de Ranjan Shandilya, "Maali" (2022) de Shiv C Shetty ou "Lomad" (2023) de Hemwant Timwari, Tanmay Dhanania vu dans "Brahman Naman" (2016) de Qaushiq Mukherjee ou "Cat Sticks" (2019) de Ronny Sen, Rohit Kokate aperçue dans "Bogda" (2018) de Nisheeta Keni, remarquée dans "Jaoon Kahan Bata Ae Dil" (2020) de Aadish Keluskar, "Aaani Baani" (2023) de Dinesh Jagtap, et citons dans leur premier rôle au cinéma Prakash Ghimire et Puja Joshi... Le film débute dans un style proche du néo-Film Noir mais aussi ancré dans un réalisme éloigné du fameux Bollywood, ainsi on pense aussi également aux récents films indiens "Santosh" (2024) de Sandhya Suri et "All we Imagine as Light" (2024) de Payal Kapadia qui font également des portraits de femmes dans l'Inde d'aujourd'hui. Mais cette fois le récit s'ancre dans les bas-fonds et le milieu interlope de la prostitution dans un pays mutli-culturel et multi-confessionnel qui rend les choses encore plus difficiles pour ces femmes malgré que, rappelons-le, l'Inde a reconnu officiellement le "troisième sexe" (hijras, transgenres,...etc) en 2014 et que l'homosexualité est dépénalisé depuis 2018, et que plusieurs textes hindous dépeignent l'homosexualité comme naturelle et source de plaisirs dont le plus connu reste le fameux Kamasutra.
Néanmoins, le contexte politico-social de l'Inde reste aussi complexe qu'ambigu. On suit une femme qui se prostitue dans les pires conditions, qui semblent brisées depuis longtemps alors même qu'elle se montre forte et indépendante, tandis qu'elle tombe amoureuse d'une jeune femme vierge a priori destinée à suivre la filiation maternelle qui est de devenir prostituée. Par cette relation qui va encore se compliquée, le réalisateur aborde plusieurs thèmes forcément logiques dans un tel contexte (avortement, environnement des travailleuses du sexe, religion et rapport au sexe, corruption... etc...) mais derrière ces portraits de femmes en marge il est surtout question du calvaire des femmes en général dans un pays encore très patriarcal où les femmes restent des esclaves. Le réalisateur mêle habilement le drame social au thriller lesbien sans se servir du visuel trop frontal ; d'ailleurs le réalisateur, qui souhaitait au départ une dimension plus charnelle, a su écouter des actrices qui ne souhaitaient pas de nudité. Résultat le cinéaste a dû opter pour des plans plus serré et/ou en hors champs dont les sensations sont d'autant plus violentes et malaisantes surtout pour les deux scènes les plus marquantes... ATTENTION SPOILERS !... un viol violent et brutal mais "légitimé" et "autorisé", puis un lynchage digne des islamistes... FIN SPOILERS !... Le seul soucis peut-être réside dans ce décalage trop imposant entre Renuka/Sengupta en meneuse expérimentée, brisée mais finalement aussi peu empathique, et une amante jeune, timide et réservée et presque trop effacée. Konstantin Bojanov signe néanmoins un drame féministe et au féminin déchirant et tragique qui nous rappelle que le chemin est encore très, très, très long...
Note :