[Hors Compétition, Film d’Ouverture]
De quoi ça parle ?
Non, il ne s’agit pas d’un biopic sur les 2Be3…
C’est l’histoire de Cécile (Juliette Armanet), cheffe primée lors d’un prestigieux concours télévisé (1), qui, alors qu’elle est sur le point d’ouvrir son restaurant à Paris, doit revenir dans son village natal. Son père (François Rollin) a été victime d’un infarctus et hospitalisé. Mais quand elle arrive, le Papa est déjà sorti de l’hôpital après avoir signé une décharge. Il entend bien reprendre illico le travail, derrière les fourneaux de son bistrot pour routiers, au désespoir de sa femme (Dominique Blanc) et sa fille. Cécile, comprenant que le vieil irrascible n’en fera qu’à sa tête, décide de rester quelques jours pour aider ses parents et trouver une solution pour limiter leur charge de travail à l’avenir. Au village, elle croise Raphaël (Bastien Bouillon), un ami d’enfance et ancien flirt qui, lui, n’a jamais quitté la région. C’est l’occasion, pour eux, d’évoquer le bon vieux temps, de s’avouer mutuellement ce qu’ils étaient l’un pour l’autre et de passer quelques moments ensemble. Parfois en chantant, puisqu’il s’agit d’une comédie musicale où sont repris des tubes musicaux variés pour illustrer les états d’âme des protagonistes, un peu comme dans On connaît la chanson d’Alain Resnais. Mais parfois en déchantant, puisque le ton est doux-amer. Cécile est partie depuis un bon moment. Elle est en couple avec Sofiane (Tewfik Jallab) et vient d’apprendre qu’elle était enceinte de lui (mais sans lui avouer). Raphaël lui tourne autour, mais peut-être a-t-il lui aussi fait sa vie avec quelqu’un d’autre, lassé d’attendre l’hypothétique retour de son béguin d’adolescence – Béguin, c’est le nom de famille de Cécile.
Il y a clairement l’idée de retrouvailles éphémères, que chacun va partir de son côté sans se retourner, qu’ils vont oublier leur amour, sans regretter et garder les moments qu’ils ont volés (2)… Ah, tiens, revoilà les 2Be3…
Pourquoi on reste un peu sur notre faim ?
Nous avions beaucoup aimé le court-métrage éponyme, justement récompensé d’un César du meilleur court-métrage en 2023. Nous étions à la fois curieux et inquiets de découvrir ce long-métrage, déclinaison du matériau d’origine. Curieux, car ce petit film émouvant et sensible nous semblait avoir le potentiel pour se muer en un long-métrage magnifique, offrant à la réalisatrice une marge de manoeuvre confortable pour étoffer certains numéros chantés et pour donner plus d’épaisseur psychologique aux protagonistes. Inquiets parce que, dans son format court, le film initial se suffisait peut-être à lui-même. Souvent, l’adaptation d’un court-métrage en long format ne se justifie pas, les cinéastes se contentant d’étirer le matériau d’origine pour arriver à une durée d’exploitation légale acceptable sans rien apporter de neuf. En termes culinaires, on appelle ça “allonger la sauce”.
Consciente de ce risque, Amélie Bonnin a choisi de ne pas coller scrupuleusement au récit d’origine, mais d’inverser les rôles. Dans le court, c’était le personnage incarné Bastien Bouillon, jeune écrivain en vogue, qui revenait au pays aider ses parents à déménager et croisait son amour de jeunesse incarnée par Juliette Armanet. Dans le long, c’est elle qui a quitté le village il y a des années pour construire sa vie et sa destinée, tandis que lui est resté dans le village, avec leurs potes de collège, éternels gamins, comme si le coin était victime d’une faille temporelle où rien ne bouge, rien ne change. Cécile, moqueuse, assène d’ailleurs à Raphaël : “C’est sûr qu’en ne quittant jamais le bled où tu es né, tu ne risques pas de te perdre, toi…”.
Ici, les positions s’inversent, mais pas le principe. L’idée est toujours de confronter deux personnages qui ont fait des choix de vie différents et qui, en se retrouvant, font le point sur leurs existences, s’interrogeant sur ce qui aurait pu se produire entre eux s’ils avaient pris des chemins différents. Dans les deux films, les personnages principaux ont été visiblement plus que de simples amis dans leur jeunesse, mais n’ont pas su, à l’époque, s’avouer leurs sentiments mutuels. L’occasion leur est donnée de parler des occasions manquées, de ce qu’ils ont éprouvé et éprouvent peut-être encore l’un pour l’autre.
Le court-métrage s’intéressait essentiellement à la relation amoureuse avortée entre les deux personnages, leurs regrets gommés par la certitude qu’à un moment de leurs vies, ils ont vécu des moments heureux et que ces souvenirs resteront gravés en eux – même si Juliette Armanet entonnait “Tu m’oublieras” à la fin du film. Le long-métrage, lui, prend le temps de développer la relation parfois difficile entre Cécile et son père, qui aurait probablement aimé qu’elle prenne sa succession. Mais hors de question pour elle de reprendre un restau routier. Depuis toute petite, elle rêve de Grande Cuisine, des étoiles plein les yeux. Mais si pour elle, Michelin est symbole d’excellence culinaire, pour les clients de Papa, ce sont des pneus. Pas le même délire… Il y a un vrai décalage entre les rêves de la jeune femme, concrétisés avec son succès télévisé et l’ouverture de son restaurant gastronomique à Paris, et cette vie provinciale assez fruste, où on “marche dans la boue”, comme dans la chanson de Delpech, “Le Loir-et-Cher” (même si le film a plutôt été tourné dans la région Grand-Est), où l’on sent la poiscaille vaseuse et le schnaps artisanal, et où les seules activités sont les sports mécaniques (comme dans Vingt Dieux, tourné dans le Jura voisin) ou la patinoire municipale.
Trop, sans doute. Car c’est à partir de ce moment-là que le film commence à glisser dans la gadoue. La confrontation vire à la caricature. A côté de cette cheffe raffinée qui côtoie Philippe Etchebest et essaie des associations osées panacotta roquefort-café, on trouve des stéréotypes grossiers de beaufs provinciaux, dépeints comme des types assez peu évolués, des guignols qui parlent fort, picolent et semblent englués dans leur médiocrité crasse. Si Bastien Bouillon était convaincant dans le court-métrage, en écrivain BCBG torturé, il l’est beaucoup moins en plouc rebelle, mi-garagiste, mi-mannequin pour “Chasse & Pêche Magazine”, barbe mal taillée et cheveux en bataille, s’habillant encore en racaille de banlieue des années 1990 et chante le rap. Et les deux comédiens qui jouent ses copains d’enfance, Mhamed Arezki et Pierre-Antoine Billon, ne sont guère mieux lotis côté fringues, traits psychologiques et répliques à déclamer.
Le moment où le trio entonne “Pour que tu m’aimes encore” provoque surtout un sentiment de “gênance”, comme disent les jeunes d’aujourd’hui (même ceux qui habitent nos zones rurales).
On se dit qu’avec un tel virage vers l’opposition de caractères et de modes de vie, sans subtilité ni nuances, le film risque de sombrer bien vite dans la caricature épaisse, bien trop lourde pour faire naître de l’émotion.
Mais, petit à petit, le miracle se produit. Le film retrouve l’équilibre, notamment grâce à Juliette Armanet, parfaite aussi bien dans les passages chantés et dansés – normal, c’est la seule chanteuse professionnelle du film (3) – que dans les passages joués, où sa sensibilité à fleur de peau, sa douceur et son humilité font merveille. A travers son regard, on perçoit les autres personnages différemment, avec plus de bienveillance. On devine que Cécile ne veut plus vivre cette vie-là, mais elle ne se sent pas non plus étrangère à ce terroir, à ces personnes qui ont fait partie de sa vie et lui sont chères. Ce retour au pays, finalement, lui est bénéfique, lui remet les pieds sur terre. En retrouvant ses racines, la jeune femme retrouve aussi ses émotions d’enfance, et cette réconciliation entre ses deux personnalités, la personne qu’elle était et celle qu’elle est devenue, lui permet enfin de trouver sa place et son apaisement.
Au final, le film assure l’essentiel. Il procure de l’émotion, comme le court-métrage d’origine, mais en prenant une voie différente (et des voix différentes). Cependant, on peut se demander quelle trace laissera ce menu concocté par la Cheffe Amélie Bonnin et ses acteurs dans nos mémoires de cinéphiles gourmets. Sera-ce un souvenir agréable de mets raffinés et subtils ou un souvenir moins heureux, dominé par des plats indigestes et mal dressés?
En fait, tout est à l’image du dessert signature finalement inventé par Cécile. Pour les uns, c’est un sommet de raffinement, évoquant l’enfance et la simplicité. Pour les autres, c’est un vulgaire “canard”, habillé de façon chichiteuse pour faire croire à de la “Haute Gastronomie”. Alors, Top Chef ou Cauchemar en cuisine? On vous laisse en juger.
(1) : “Top Chef”, pour ne pas le nommer.
(2) : Vaguement inspiré des paroles de “Partir un jour”, paroles de Pénélope Marcelin
(3) : On applaudit toutefois sa performance inattendue en Alain Delon dans le duo avec Dominique Blanc sur “Paroles” de Dalida
Contrepoints critiques :
“Amélie Bonnin passe du court au long-métrage avec Partir un jour, et nous embarque avec cette comédie chantée au charme fou.”
(Anne-Claire Cieutat – Bande à part)
”Choisi pour ouvrir la 78e édition de l’événement, le «film-karaoké» d’Amélie Bonnin, où l’actrice-chanteuse interprète une vedette des fourneaux, transfuge de classes de retour au bercail, veut rassembler les publics et les territoires à coups de clichés.”
(Olivier Lamm – Libération)
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