Mort d'une icône et d'un mentor : Roger Corman

Tardivement on apprend la mort d'une icône, mythe du 7ème Art, mentor de plusieurs grands cinéastes actuels, Roger Corman nous quitté ce 09 mai 2024 à l'âge de 98 ans.

Stream #7 - Roger Corman The Artist by The Important Cinema Club ...

Né en 1926, Roger William Corman est le fils d'une mère au foyer et d'un père ingénieur, il a un jeune frère, Gene qui sera plus tard un de ses collaborateurs. Suivant les pas de son père il va à la Beverly Hills Hifg School avant de faire des études d'ingénierie à l'Université de Stanford. Mais il se rend compte que ce n'est pas ce qu'il veut faire et s'engage dans la Marine américaine en 1944. Grâce à cette expérience il a pu étudier un petit temps la littérature anglaise à Oxford et a vécu quelques semaines à Paris.

En 1948 il est embauché chez US Electrical Motors à Los Angeles comme ingénieur mais y reste que quatre jours, précisant à son patron lors de sa démission "J'ai commis une terrible erreur". Profitant que son jeune frère soit devenu agent à Hollywood il décide de se lancer dans le cinéma. Il trouve une place de coursier à la 20th Century Fox dès 1948 et commence à gravir tous les échelons et devient lecteur d'histoire qui lui permet de choisir le projet qui va devenir "La Cible Humaine" (1950) de Henry King avec Gregory Peck. Mais quand il comprend qu'il n'est pas crédité pour son travail il quitte le 20th Century Fox. Il occupe alors plusieurs petits emplois comme machiniste à la télévision ou assistant d'un agent littéraire. Durant  cette période il écrit un scénario qu'il réussit à vendre 2000 dollars, ce film va devenir "La Tueuse de Las Vegas" (1954) de Nathan Juran avec Joan Bennett, sur lequel Corman obtient aussi un poste de co-producteur sans être rétribué, acceptant afin de gagner en expérience.

Il réunit ensuite la somme de 12000 dollars pour produire son premier film , "Monster from the Ocean Floor" (1954) de Wyott Ordung sous l'égide de sa propre première société de production Palo Alto. Il enchaîne alors avec "The Fast and the Furious" (1954 - ci-dessous) de et avec John Ireland et avec Dorothy Malone, un thriller mécanique qui va inspirer des décennies plus tard la saga "Fast and Furious" (2001-...) initié par Rob Cohen et la star Vin Diesel.

Corman vend le film à la société American Releasing Company (ARC) plutôt qu'à des studios plus puissants notamment grâce à une avance qui permit à Corman de produire deux nouveaux longs métrages. Il en profite pour passer à la réalisation avec un budget plus confortable de 60000 dollars pour le western "Cinq Fusils à l'Ouest" (1955) pour lequel il retrouve Dorothy Malone

Désormais producteur-réalisateur il enchaîne les tournages et multiplie les genres et les expériences. Citons entre autre le western "La Femme Apache" (1955) avec Lloyd Bridges, le film d'anticipation "Instinct de Survie" (1955), le polar "La Loi des Armes" (1956) avec John Ireland, la SF avec "Il a conquis le Monde" (1956) avec Lee Van Cleef, une pincée de féminisme dans l'évocateur "Femmes Gangsters" (1956), le tout aussi parlant "L'Attaque des Crabes Géants" (1957 - ci-dessus), retourne à la SF avec "Le Vampire de New-York" (1957) avec Beverly Garland qui va tourner plusieurs films avec lui, à l'instar de Susan Cabot après le drame musical "Carnival Rock" (1957), puis encore de la SDF avec "La Guerre des Satellites" (1958), un peu d'aventures exotiques avec "Les Aventuriers des Îles" (1958), aborde même les temps préhistoriques dans "Teenage Cave Man" (1958) avec Robert Vaughn, un biopic avec "Machine Gun Kelly" (18958) avec Charles Bronson, un film d'horreur avec "Un Baquet de Sang" (1959) puis retrouve Susan Cabot dans "La Femme Guêpe" (1959 - ci-dessous).

Le producteur-réalisateur précise son style, assume ses choix et se spécialise ainsi dans la série B avec des budgets très faibles, des salaires limités, de l'action, de l'humour parfois et des tournages express en moyenne de 5-6 jours maximum. À partir des années 60 il va surtout profiter de la mode des films d'épouvante surfant sur la vague des productions de la Hammer, en empruntant parfois leur acteur fétiche Vincent Price qui va aussi devenir le sein, en favorisant des adaptations des oeuvres de Allan Edgar Poe.

Mais entre temps Roger Corman n'oublie pas aussi sa fonction de producteur pour les autres, on peut par exemple citer "La Bête de la Caverne Hantée" (1959)  de Monte Hellman et "Dementia 13" (1963) de Francis Ford Coppola, deux futurs grands réalisateurs qui débutent alors... 

Roger Corman signe le film d'horreur "La Petite Boutique des Horreurs" (1960 - ci-dessous) avec une plante carnivore qui parle, devenu un de ses films les plus cultes avec un des toutes premières apparitions d'un certain Jack Nicholson, poursuit avec une adaptation de Allan Edgar Poe "La Chute de la Maison Usher" (1960) avec Vincent Price, puis signe "La Dernière Femme sur Terre" (1960) joué par Robert Towne qui écrit également là son scénario avant de devenir un scénariste recherché avec plus tard "Chinatown" (1974) de Roman Polanski ou "Greystoke" (1984) de Hugh Hudson.

Il retrouve l'auteur Poe et l'acteur Vincent Price (le réalisateur et Vincent Price ci-dessous entre deux prises)  pour "La Chambre des Tortures" (1961), aborde pour la première fois le peplum dans "Atlas" (1961), retourne au film de monstres avec "La Créature de la Mer Hantée" (1961), puis touche à l'actualité alors brûlante de la ségrégation raciale dans "L'Intrus" (1962) avec William Shatner future star de la franchise "Star Trek" (1966-1994).

Il adapte à nouveau Allan Edgar Poe avec "L'Enterré Vivant" (1962 - ci-dessous) avec Ray Milland, ce qui en fait le seul film sur les huit adaptés de Poe qui se tourne sans Vincent Price qu'il retrouve justement aussitôt après pour le Moyen-Age dans "La Tour de Londres" (1962) puis enchaîne avec l'acteur et d'autres adaptations de la Poe avec coup sur coup "L'Empire de la Terreur" (1962), "Le Corbeau" (1963) et "La Malédiction d'Arkham" (1963), des films où il fait aussi jouer des vétérans comme Boris Karloff ou Peter Lorre.

Il retrouve Ray Milland pour le film d'anticipation "L'Horrible cas du Dr X" (1963), on aperçoit un tout jeune Francis Ford Coppola acteur dans "Duel sur le Circuit" (1963), puis Jack Nicholson acteur encore méconnu dans "L'Halluciné" (1963 - ci-dessous), retrouve son acteur Vincent Price et Poe pour "Le Masque de la Mort Rouge" (1964) et "La Tombe de Ligeia" (1964), puis aborde la Seconde Guerre Mondiale avec "L'Invasion Secrète" (1964) avec un de ses rares castings prestigieux avec entre autre Stewart Granger, Raf Vallone, Mickey Rooney ou Henry Silva pour un film commando qui annonce la mode qui sera porté aux nues avec "Les 12 Salopards" (1967) de Robert Aldrich.

Corman continue à suivre quelques uns de ses poulains et produit entre autre "L'Ouragan de la Vengeance" (1966) et "La Mort Tragique de Leland Drum" (1967) tous deux de Monte Hellman et avec Jack Nicholson, puis "Voyage to the Planet of Prehistoric Women" (1968) de Peter Bogdanovich.

Surtout Roger Corman signe deux films de bikers, "Les Anges Sauvages" (1966) avec Peter Fonda dont c'est le premier film qu'il retrouve dans "The Trip" (1967 - ci-dessous) écrit par Jack Nicholson et avec Dennis Hopper, ce qui constitue un tournant dans leur carrière puisque le trio Fonda-Hopper-Nicholson vont se retrouver ensuite pour le mythique et cultissime "Easy Rider" (1969) qui vont faire d'eux, enfin, des stars...

The Trip' Makes It Sexually, Cinematically – Gene Youngblood – LA ...

Entre temps le producteur-réalisateur signe "L'Affaire Al Capone" (1967) avec Jason Robards, "La Poursuite des Tuniques Bleues" (1967 - ci-dessous) avec Glenn Ford, puis il termine la décennie avec "Le Divin Marquis de Sade" (1969) co-réalisé avec Cy Enfield et Gordon Hessler avec dans le rôle-titre Keir Dullea alors auréolé de sa participation dans le chef d'oeuvre "2001 l'Odyssée de l'Espace" (1968) de Stanley Kubrick.

Corman produit "Le Monstre du Château" (1970) de José Luis Merino, puis réalise le biopic sanglant "Bloody Mama" (1970) avec Shelley Winters et un certain Robert De Niro qui n'a pas encore rencontré son réalisateur fétiche, puis retroune à la SF avec "Gas-s-s-s" (1971) avec Talia Shire, soeur de Francis Ford Coppola qu'il avait déjà aperçue dans "The Wild Racers" (1968) de Daniel Haller qu'il a produit, signe un nouveau biopic avec "Le Baron Rouge" (1971) sur l'as des as allemands de 14-18 avant de ralentir le rythme pour la première fois...

En effet, il semble qu'ensuite Roger Corman ait préféré se focaliser sur la production. Il ne réalisera plus que trois longs métrages.

Il produit alors des débutants ayant seulement quelques films à leur actif et/ou pas encore connu le succès avec entre autre "Bertha Boxcar" (1973) de Martin Scorcese, "Capone" (1975) de Steve Carver ou "La Course à la Mort de l'an 2000" (1975) de Paul Bartel, mais il n'hésite pas non plus à faire confiance à des débutants pour leur premier film et qui seront bientôt des grands noms du cinéma avec "Sweet Kill" (1972) de Curtis Hanson, "Cinq Femmes à Abattre" (1974) de Jonathan Demme, "Hollywood Boulevard" (1976) et "Piranhas" (1978) tous deux de Joe Dante ou "Lâchez les Bolides" (1977) de Ron Howard.

Il revient à la réalisation avec "Les Gladiateurs de l'an 2000" (1978) avec David Carradine et co-signé avec Allan Arkush dont il produira dans la foulée son premier film en solo avec "Le Lycée des Cancres" (1979). Corman enchaîne avec "Les Mercenaires de l'Espace" (1980 - ci-dessous) avec George Peppard et Robert Vaughn qui est un remake SF de "les Sept Samouraïs" (1957) de Akira Kurosawa, rappelant que Robert Vaughn avait déjà joué dans un remake avec le western "Les Sept Mercenaires" (1960) de John Sturges, mais surtout Roger Corman permet à deux débutants de se rencontrer, le compositeur James Horner et le Chef Décorateur James Cameron, le second deviendra un grand réalisateur et retrouvera le musicien pour quelques chefs d'oeuvres avec "Aliens" (1986), "Titanic" (1997) et "Avatar" (2009).

Il produit ensuite "Le Territoire" (1981) de Raoul Ruiz, "House" (1986) et "Warlock" (1989) tous deux de Steve Miner et "Le Vampire de l'Espace" (1988) de Jim Wynorski.

Roger Corman réalise ensuite son ultime oeuvre personnelle avec "La Résurrection de Frankestein" (1990 - ci-dessous) avec John Hurt et Bridget Fonda

Mais malgré un succès d'estime le cinéaste confirme qu'il préfère être producteur, et notamment avec la première version cinéma du comics Marvel "Les Quatre Fantastiques" (1994) de Oley Sassone. Citons aussi le dyptique "Black Scorpion" (1995-1997) de Jonathan Winfrey ou "Course à la Mort" (2008) de Paul W.S. Anderson. 

En 2010 il reçoit un Oscar d'Honneur, mais le plus bel hommage qui lui ait été rendu est sans doute lors de sa dernière apparition public à 97 ans lors du Festival de Cannes 2023 (ci-dessous), où il remettait le Grand Prix pour le film "The Zone of Interest" (2023) de Jonathan Glazer ; il a alors reçu une standing ovation après un discours à son honneur prononcé par un de ses fans, un certain Quentin Tarantino.

Affublé de surnoms tels que "Le pape du cinéma pop", "Le Roi du culte" ou "Le parrain spirituel du Nouvel Hollywood", Roger Corman est le roi du ciné indépendant US, réalisateur d'une cinquantaine de films et producteurs de plus 400 films mais il est surtout un découvreur de talents unique, un mentor qui a lancé la carrière d'un nombre important de grands noms du Septième Art avec pêle-mêle Francis Ford Coppola, Monte Hellman, Jack Nicholson, Peter Fonda, Peter Bogdanovich, Jonathan Demme, Joe Dante, Ron Howard... Sans compter qu'il a été également distributeur sur le sol américain de plusieurs réalisateur européens dont François Truffaut, Ingmar Bergman ou Federico Fellini...

Notons que plusieurs des réalisateurs dont il a permis la reconnaissance lui ont offert quelques caméos ou petits rôles dans leur film dans "Le Parrain 2" (1974) de Francis Ford Coppola, "Cannonball" (1976) de Paul Bartel, "Le Silence des Agneaux" (1990) et "Philadelphia" (1993) tous deux de Jonathan Demme, "Apollo 13" (1995) de Ron Howard ou "Les Looney Tunes passent à l'Action" (2003) de Joe Dante... 

Si ses oeuvres restent dans un registres qualitatifs souvent mitigés il ne faut pas oublier que c'est aussi un formidable réservoir de talents en devenir, un énorme laboratoire de folies et d'ingéniosités au service de l'amour du cinéma. Roger Corman reste et demeure une légende du cinéma.

Roger Corman est mort ce jeudi 09 mai 2024 à l'âge de 98 ans dans sa maison de Santa Monica entouré de ses proches.