Un américain bien tranquille

Par Platinoch @Platinoch

Un grand merci à Rimini Editions pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Un américain bien tranquille » de Joseph L. Mankiewicz. 

« Pour elle, la notion de futur n’a aucun sens. Même en français. Les peuples qui vivent au jour le jour n’en saisissent guère l’usage »

Automne 1952, en pleine guerre d’Indochine. Un jeune américain, idéaliste, chargé d’une mission humanitaire, débarque à Saïgon, au plus fort de la résistance vietnamienne contre la présence coloniale française. Il sympathise avec le reporter anglais Thomas Fowler, pour qui le Vietnam n’a plus de secrets. Mais il est bientôt attiré par Phuong, la jeune maîtresse vietnamienne de ce dernier, aussi belle et mystérieuse que la ville et Saïgon…

« Qu’est-ce qui vous a pris de jouer au héros ? Nous ne tournons pas un film de guerre. Et en plus, vous n’épouserez pas l’héroïne ! »

D’abord scénariste (« Alice au pays des merveilles » de Norman Z. McLeod, « L’ennemi public n°1 » et « Souvent femme varie » de W.S. Van Dyke) puis producteur réputé pour la MGM (« Fury » de Fritz Lang, « Trois camarades » de Frank Borzage, « Indiscretions » de George Cukor, « La femme de l’année » de George Stevens), Joseph L. Mankiewicz finit par passer lui-même derrière la caméra au milieu des années 40. Au sein de la 20th Century Fox, il enchainera alors les chefs d’œuvre et les succès (« L’aventure de Madame Muir », « Chaines conjugales », « Eve », « On murmure dans la ville ») et se voit récompensé de quatre Oscars (deux comme meilleur réalisateur et deux comme meilleur scénario). Mais supportant mal la tyrannie et la pression de son producteur Daryl Zannuck, Mankiewicz finira par fonder sa propre société de production (Figaro Inc.) afin de pouvoir réaliser librement en parallèle des films qu’il dirige pour la Fox, des projets plus personnels. Il démarre ainsi avec « La comtesse aux pieds nus » (1954), brûlot contre l’impitoyable système hollywoodien qui ne rencontre pas le succès escompté, puis enchaine en 1957 avec « Un américain bien tranquille », adaptation du roman éponyme du célèbre romancier anglais Graham Greene, qui n’approuvera pas le résultat. S’il souhaitait au départ attribuer les rôles principaux à Montgomery Clift et Lawrence Olivier, il se rabattra finalement sur Audie Murphy et Michael Redgrave. A noter que le film fera l’objet d’un remake en 2002 réalisé par l’australien Phillip Noyce et porté par Michael Caine (qui sera pour l’occasion nommé à l’Oscar du meilleur acteur) et Brendan Fraser.

« Un jour ou l’autre, nous sommes obligés de prendre parti »

« Un américain bien tranquille » est ainsi une plongée au cœur de l’Indochine française qui vit ses dernières heures de domination coloniale. Dans une ambiance très troublée, baignée d’un parfum délétère d’insurrection et de guerre civile, on y suit la rencontre de deux personnages assistant au délitement de l’empire colonial français : un vieux reporter anglais cynique et un humanitaire américain candide. Deux personnages aux antipodes, néanmoins liés par une même langue, par un même (dés)intérêt pour les enjeux français et, surtout, par une même passion pour une jeune beauté autochtone. Une rivalité amoureuse qui sera ainsi au cœur d’un récit complexe, mêlant tout à la fois des intrigues politiques, dramatiques et sentimentales et dans lesquelles chacun des protagonistes entretiendra une part de mystère et d’ambigüité quant à ses intentions réelles. Sur la base d’un scénario construit sous la forme d’un long flashback (structure narrative assez habituelle chez le cinéaste qui en fera l’une de ses marques de fabrique), le film questionne ainsi les valeurs morales de ses deux antihéros et, à travers eux, des pays qu’ils représentent : derrière son altruisme et son innocence apparents, cet américain pas si tranquille (ou du moins pas si clair) se livre ainsi à d’étranges activités commerciales avec des gens peu recommandables, tandis que le journaliste anglais, d’apparence si détachée, n’hésitera pas à compromettre sa neutralité et sa déontologie pour servir ses intérêts propres. Reste que, censure oblige, Mankiewicz expurge ici dans les grandes largeurs le récit de tout son passionnant sous-texte politique. Et notamment de tout ce qui concerne l’appartenance de l’américain (personnage finalement très sombre dans le roman) à la CIA et l’implication de celle-ci contre les intérêts de son allié français. Un parti pris forcément regrettable, en ce qu’il restreint au final l’intrigue à son seul triangle amoureux et lui ôte toute sa dimension controversée (et critique vis-à-vis de la politique américaine). On se contentera donc de prendre le film pour ce qu’il est : un drame historico-policier aux accents vaguement sentimentaux qui se révèle être au demeurant assez plaisant. D’autant que le film ne manque pas de qualités, à commencer par son rythme particulier (sans véritable action et qui préfère développer ses ressorts par les seuls dialogues), la qualité de sa reconstitution de l’ambiance de la Saigon coloniale (très belle scène d’ouverture centrée sur les festivités du nouvel an chinois, mais aussi celle de l’attentat) ou encore son étonnant casting porté notamment par un Audie Murphy remarquable de sobriété.

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Le blu-ray : Le film est présenté dans un Master restauré en Haute-Définition et proposé en version originale américaine (2.0) ainsi qu’en version française (2.0). Des sous-titres français sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné d’une interview de N.T. Binh, critique de cinéma à la revue Positif (36 min.).

Édité par Rimini Éditions, « Un américain bien tranquille » est disponible en combo blu-ray + DVD depuis le 18 avril 2023.

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