Le processus créatif

Le point de vue de Glenn Gers sur la narration, en particulier l'accent mis sur la compréhension de la narration fondamentale du récit, offre une vision profonde de l'art et de l'artisanat de l'écriture scénaristique. Cette approche souligne l'importance primordiale de l'essence même de l'histoire par rapport à l'attrait de ses aspects superficiels, tels que les détails complexes des personnages ou les descriptions vivantes des lieux. Cette approche est fondamentale pour les scénaristes qui aspirent non seulement à captiver le lecteur/spectateur, mais aussi à transmettre des récits significatifs.

Le piège dont Gers nous met en garde fait référence à l'écueil courant qui consiste, pour l'auteur et l'autrice, à se passionner pour les détails de leurs personnages et les subtilités de leurs contextes, au point de perdre de vue la direction et l'objectif globaux de la narration. C'est un peu comme si l'on se concentrait sur les ornements plutôt que sur l'arbre lui-même. Cela peut conduire à des récits qui, bien que riches en détails, manquent de cohérence ou d'une dynamique narrative convaincante, et ne trouvent finalement pas d'écho auprès de la lectrice et du lecteur.

La question du thème

Avant d'entrer dans les détails, demandez-vous pourquoi cette histoire doit être racontée et quel en est le thème central. Cette idée ou ce message central doit guider tous les aspects de votre récit, du développement des personnages à la description des lieux. Il s'agit d'une boussole qui permet de s'assurer que tous les éléments narratifs s'alignent sur le récit.

Le thème est le cœur et l'âme de votre récit. C'est l'idée sous-jacente, le message que vous voulez que la lectrice et le lecteur retiennent au-delà de l'intrigue et des personnages. Un thème fort trouve un écho émotionnel et intellectuel auprès du lecteur/spectateur et laisse une impression durable. Il assure l'unité et la finalité du récit. Connaître son thème permet de s'assurer que tous les éléments narratifs contribuent à un ensemble cohérent. Chaque scène, personnage et détail doit être relié au message central, ce qui permet d'éviter le hasard et de renforcer l'impact global.

Face aux choix de l'intrigue, aux dilemmes du développement des personnages ou aux détails descriptifs, le thème sert de point de référence. Il guide la prise de décision. Cet élément que vous voulez introduire renforce-t-il ou détourne-t-il l'attention du message principal ?
Chaque personnage doit incarner ou défier le thème d'une manière ou d'une autre. Les antagonistes représentent souvent des forces qui s'opposent au message thématique, tandis que les protagonistes en incarnent la réalisation. Les événements et conflits majeurs doivent faire progresser l'exploration du thème. Les choix des personnages, les défis qu'ils doivent relever et les solutions qu'ils trouvent doivent tous refléter le message qui se dit à travers eux.

L'environnement doit mettre en valeur le thème, en créant une atmosphère qui reflète son esprit et son message. Par exemple, une histoire sur l'isolement peut se dérouler dans un paysage désolé, tandis qu'une histoire sur la résilience peut se dérouler dans un environnement déchiré par la guerre. Les mots choisis pour peindre l'image doivent être en résonance avec le thème. Un langage qui évoque des émotions, des idées ou des images spécifiques peut renforcer subtilement le message central qui est véritablement au cœur du récit.

Formulez votre thème dès le début. Définissez clairement votre idée centrale avant de construire votre récit : Mettez-la par écrit, revenez-y régulièrement et utilisez-la comme fil conducteur tout au long du processus d'écriture. Au fur et à mesure que vous élaborez chaque élément, demandez-vous comment il se rattache à votre thème central. Permet-il d'approfondir la compréhension de ce qu'il se passe, d'explorer différentes facettes ou de créer un conflit qui aide à révéler toutes les complexités du récit ?

Demandez à des lecteurs de confiance d'identifier le thème qu'ils perçoivent dans vos écrits. Est-il conforme au message que vous souhaitez faire passer ? Certains éléments semblent-ils discordants ou peu clairs ?

Planifier

Rédigez un schéma clair de l'arc narratif de votre récit, tel celui des 24 chapitres. Ce schéma servira de feuille de route, vous aidant à vous concentrer sur la progression de l'histoire et garantissant que chaque scène, personnage et détail de l'environnement contribue de manière significative à la narration.

Au lieu de considérer le développement des personnages et les détails des lieux comme des fins en soi, considérez-les comme des moyens de faire avancer l'intrigue. Les personnages doivent incarner les thèmes et les conflits au cœur de l'histoire, et leur évolution doit refléter celle du récit. De même, les lieux doivent être plus que de simples arrière-plans ; ils doivent renforcer l'ambiance, les thèmes et les conflits de l'histoire.

Cette problématique touche à l'essence même de la narration, où le développement des personnages et le cadre ne servent pas simplement de toile de fond ou de descripteurs, mais agissent comme des forces vives qui conduisent les récits, incarnent des thèmes et exacerbent les conflits. Lorsqu'ils sont habilement utilisés, ces éléments transcendent leurs rôles conventionnels et se transforment en entités dynamiques qui influencent activement la progression, la profondeur et l'impact émotionnel de l'histoire.
Le cinéma européen par exemple, de par sa grande diversité et son approche souvent basée sur l'autrice et l'auteur, constitue un terreau fertile pour l'exploration de ces complexités narratives. Dans les films européens, le développement des personnages est souvent le principal moteur de l'intrigue, leur croissance personnelle, leurs régressions et leurs révélations jouant le rôle de facilitateurs de la progression du récit.

La Haine est un exemple convaincant de la manière dont le développement des personnages peut conduire la narration et intensifier les conflits. Le film suit trois jeunes hommes d'origines ethniques diverses pendant 24 heures dans les banlieues de Paris, sur fond d'agitation sociale.
L'évolution des réactions des personnages à leur environnement, à la violence qui les entoure et à leurs conflits internes constitue un puissant moteur narratif. L'évolution des personnages reflète des thèmes plus larges tels que l'inégalité sociale, l'identité et le cycle de la violence, faisant de leurs transformations personnelles le miroir d'un commentaire sociétal.

La vie des autres, le cadre - Berlin-Est avant la chute du mur de Berlin - joue un rôle essentiel au-delà du contexte historique. Il influence activement les actions, les décisions et les transformations des personnages. L'atmosphère oppressante de la surveillance exercée par la Stasi (la police secrète) est-allemande devient un creuset pour le développement des personnages, en particulier celui de Gerd Wiesler, un officier de la Stasi.
L'atmosphère omniprésente de peur et de méfiance ne sert pas seulement de moteur à l'intrigue, mais approfondit également l'exploration thématique de la liberté, de la vie privée et de la rédemption. L'interaction entre le cadre et le développement des personnages peut être une force narrative puissante, où l'environnement agit non seulement comme un arrière-plan mais aussi comme un facilitateur de l'évolution des personnages, faisant ainsi progresser l'histoire.

Moi, Daniel Blake de Ken Loach montre comment le milieu (Newcastle, frappée par l'austérité) et le développement des personnages sont intimement liés, propulsant ainsi le récit.
Daniel Blake, un charpentier qui a besoin de l'aide sociale après une crise cardiaque, se retrouve à se frayer un chemin dans un système d'allocations labyrinthique et impersonnel. Le cadre de Newcastle, avec sa description du délabrement urbain et de la négligence sociale, n'encadre pas seulement la lutte de Daniel, mais façonne activement son parcours et le développement de son personnage. Le paysage socio-économique de la ville devient un personnage à part entière, reflétant et intensifiant la lutte du héros contre un système déshumanisant.

La révision du texte

Le processus de révision est une étape critique de la narration, au cours de laquelle la cohérence et l'unité du récit sont considérablement renforcées. En examinant méticuleusement chaque élément de l'histoire (les personnages, le cadre, l'intrigue, les dialogues et les thèmes), l'autrice et l'auteur s'assurent que chaque partie contribue de manière significative au thème général, ce qui permet d'obtenir un récit plus convaincant et plus unifié.

Cet alignement garantit que l'histoire trouve un écho profond auprès de son lecteur et de sa lectrice, et délivre un message ou une expérience cohérente. Comme les personnages sont au cœur de toute histoire, l'autrice et l'auteur, lors de la révision, peuvent examiner minutieusement les motivations, les traits de la personnalité et le développement des personnages afin de s'assurer qu'ils incarnent ou reflètent le thème central de l'histoire. Par exemple, dans une histoire centrée sur le thème de la rédemption, l'histoire personnelle d'un personnage, ses défauts et son évolution peuvent être revus pour mettre en évidence son parcours vers la rédemption, rendant ainsi son expérience plus intégrante du thème.
Les personnages secondaires peuvent également être réévalués pour s'assurer qu'ils contribuent ou contrastent avec le thème, enrichissant ainsi la trame narrative.

Le cadre peut faire plus que servir de toile de fond ; il peut renforcer le thème et l'atmosphère de l'histoire. Lors des révisions, l'auteur et l'autrice peuvent réévaluer les descriptions des lieux et des environnements afin de s'assurer qu'elles reflètent ou renforcent les préoccupations thématiques du récit. Par exemple, dans un récit explorant la solitude, des lieux tels qu'une cabane isolée et enneigée ou une métropole vide et tentaculaire peuvent être décrits de manière à mettre l'accent sur l'exploration thématique de la solitude et de la séparation.

La série d'événements et leur déroulement ou durée peuvent être perfectionnés afin de mieux servir le thème. Les éléments qui ne contribuent pas aux objectifs thématiques peuvent être modifiés ou supprimés. Par exemple, dans une histoire traitant du pouvoir corrupteur de la cupidité, chaque rebondissement et conflit peuvent être reconsidérés pour s'assurer qu'ils reflètent ou renforcent ce thème, en supprimant les intrigues secondaires ou les scènes qui détournent l'attention du message central.

Les dialogues sont un moyen direct de révéler les personnages et de faire avancer l'intrigue tout en reflétant le thème. Lors de la révision, les dialogues qui ne semblent pas en phase avec les fondements thématiques de l'histoire peuvent être retravaillés afin de mieux porter le poids de la problématique interrogée. Dans le cas d'une histoire centrée sur le thème de la trahison, le dialogue peut être précisé pour révéler les tensions latentes, les ressentiments inavoués ou préfigurer les trahisons à venir, le rendant ainsi plus pertinent par rapport au thème.

Demandez régulièrement l'avis d'autrui. Un regard neuf permet souvent de détecter les détails qui détournent l'attention de l'essence du récit ou les aspects superficiels qui font perdre de vue le cœur de l'histoire. Utilisez ce retour d'information pour recalibrer le récit et vous assurer qu'il reste au centre de vos préoccupations.