Rencontre avec Emma Stone (Conférence de presse pour Pauvres Créatures) « Bella est le rôle le plus joyeux de ma carrière… »

Par Cliffhanger @cliffhangertwit

A l'occasion de la sortie du tant attendu nouveau long-métrage du réalisateur grec Yórgos Lánthimos ( Canine, The Lobster, Mise à Mort du Cerf Sacré, La Favorite), dans lequel il retrouve sa nouvelle muse en la personne de la brillante comédienne Emma Stone. Nous avons eu la chance d'être convié à un échange avec la tête d'affiche de Pauvres Créatures. Compte-rendu de 20 minutes avec l'une des actrices les plus talentueuses de sa génération.

Photo : William François

Q : Emma, c'est la deuxième fois que vous travaillez avec Yórgos (ndlr : Lánthimos), comment comparerez-vous cette expérience à la première ?
Emma Stone : En réalité, c'est la troisième fois. On a réalisé un court-métrage entre les deux films. Mais la principale différence, c'était qu'on se connaissait beaucoup mieux, évidemment. Il m'a parlé de cette histoire dès la fin du tournage de La Favorite en 2017, et on a tourné Pauvres Créatures fin 2021. Donc on a eu plusieurs années pour parler de tous les aspects de la production et pour devenir amis.
Q : Qu'est-ce que vous aimez le plus dans le travail de Yórgos ?
E.S. : Je crois qu'on s'entend bien et qu'on se comprend assez vite, on n'a pas besoin de se parler très longtemps. Et il n'aime pas intellectualiser les choses, ce qui est merveilleux parce que je ne le fais pas vraiment non plus. Il est très pragmatique, il est ouvert à l'expérimentation et je me reconnais beaucoup dans les œuvres vers lesquelles il est attiré.
Q : Les répétitions du film devaient être la partie la plus fascinante du projet.
E.S. : Oui, on a eu une phase de répétitions qui ressemblait à celle de La Favorite. On a passé 3 semaines à jouer avec les autres acteurs. Yórgos est une sorte de chef-d'orchestre, on a surtout travaillé la façon dont le langage et les dialogues passaient dans le corps sans être schématiques. On ne bloquait pas les scènes exactement comme on allait les jouer au tournage, on faisait juste des choses marrantes et un peu embarrassantes devant les autres. Et au moment où on est arrivés sur le plateau, on se sentait vraiment comme une troupe de théâtre. Tout le monde se connaissait, se sentait à l'aise avec tout le monde et savait comment Yórgos fonctionnait. J'adore cette partie du processus.
Q : Comment avez-vous travaillé avec la coordinatrice d'intimité pour préparer les scènes de sexe ?
E.S. : Je me suis sentie très stupide, parce que je connaissais très bien Yórgos et je me sentais très à l'aise avec les autres acteurs donc je pensais que je n'avais pas besoin d'une coordinatrice d'intimité. On allait juste chorégraphier les scènes de sexe, qui sont généralement très froides et très planifiées dans leur exécution. Puis Yórgos m'a dit qu'on aurait absolument une coordinatrice pour ces scènes. Elle (ndlr : Elle McAlpine) est arrivée, et elle était incroyable. Je l'ai rencontrée, et je me suis demandé comment j'avais pu penser qu'on n'avait pas besoin d'elle. D'abord, elle assure le confort et l'intimité - évidemment - sur le plateau. Puis elle aide à chorégraphier les scènes et à les rendre réalistes. Elle permet de rendre l'atmosphère tellement meilleure pour nous. Elle est incroyable et je comprends maintenant pourquoi c'est un métier si important et si nécessaire.
Q : Qu'est-ce que vous enviez le plus chez Bella ? Sa liberté totale, sa curiosité ou son émancipation sexuelle ?
E.S. : Je dirais que ce que j'envie le plus, qui est également ce qui m'inspire le plus chez elle, c'est sa soif de vie. Elle trouve tous les aspects de la vie fascinants parce qu'elle est amoureuse de l'idée d'être en vie. C'est inspirant parce que je rêverais d'être comme ça plus souvent. Les épreuves douloureuses et merveilleuses pèsent le même poids parce que c'est ça la vie, et c'est passionnant. Elles guident toutes vers une évolution, un apprentissage. Et elle ne porte de jugement sur rien, elle trouve les mauvaises expériences aussi intéressantes que les bonnes.
Q : Le personnage de Bella évolue pendant tout le film, elle passe d'un bébé à un adulte. Comment avez-vous travaillé ces différentes phases, en sachant que rien n'était tourné dans l'ordre chronologique ?
E.S. : Le script de Tony (ndlr : Tony Mcnamara, le scénariste du film) était brillant, parce que l'évolution du personnage était déjà dans les dialogues. Donc on a pu travailler avec ça et faire des essais. Avec Yórgos, on a beaucoup travaillé sur la physicalité du personnage et on a numéroté les étapes de son évolution de 1 à 5 au cas où nous ne tournerions pas dans l'ordre chronologique. Mais en réalité, c'est surtout arrivé au début du tournage, et par la suite c'était plus chronologique. C'était surtout de l'expérimentation, parce que même avec l'idée qu'elle est un bébé, elle n'en est pas un en même temps. Elle a un corps de femme adulte, en bonne santé, qui ne fabrique pas ses os et ses muscles pendant qu'elle grandit. On a donc trouvé que des mouvements robotiques, saccadés, étaient plus intéressants pour elle. Plutôt que d'avoir des expressions faciales de bébé, on a préféré qu'elle soit dans son espace propre de création et d'invention. L'essentiel de tout ça s'est trouvé chaque jour sur le plateau, en essayant des choses différentes à chaque prise et en faisant confiance en la capacité de notre monteur de réussir à recoller tout ça ensemble.

Photo : William François


Q : Le personnage principal de Pauvres Créatures est une femme qui s'émancipe des hommes qui l'entourent et qui essaient de l'emprisonner. Considérez-vous le film comme féministe ?
E.S. : Considérez-VOUS le film comme féministe ?
Q : Personnellement oui.
E.S. : Moi aussi (rires). Vous avez donné une super réponse à la question ! Je n'ai rien à rajouter, c'était très bien dit !
Q : L'aspect féministe est aussi un élément qui vous a décidé à faire le film ?
E.S. : Je crois que cette idée est inhérente au projet et à ce personnage féminin curieux qui questionne le monde. Je suis surtout tombée amoureuse d'elle, comme d'une personne. J'avais envie de vivre dans sa peau, de me mettre à sa hauteur.
Q : Parlons de cette scène de danse avec Mark Ruffalo. Comment avez-vous conçu ça ensemble ?
E.S. : C'est, pour le coup, l'une des seules scènes qu'on ait entièrement répétées. Constanza (ndlr : Macras), qui était notre chorégraphe sur La Favorite, est arrivée et a apporté des réponses. On a débuté cette espèce de grande exploration de comment Bella danse, comment elle se comporte à ce moment de sa vie, où se place la jalousie de Duncan... Même si c'est une danse, c'est surtout une vraie scène complète qui dit beaucoup sur leur dynamique. Elle cherche la liberté, il essaye de la tirer vers lui. On a répété ça de nombreuses fois, et c'était un moment très amusant à tourner. On a filmé la scène vers la fin du tournage, après des mois à attendre de danser.
Q : Diriez-vous que Bella est le rôle le plus compliqué de votre carrière ?
E.S. : Je dirais que Bella est le rôle le plus joyeux de ma carrière. Les aspects les plus difficiles de Bella étaient juste dus à ma propre autocritique, où j'essayais d'effacer les éléments de ma vie personnelle, parce qu'elle est tellement ouverte.
Q : Vous êtes aussi productrice du film. Comment avez-vous réussi à sortir de votre rôle de comédienne pour avoir un œil sur la production ?
E.S. : L'aspect " production ", lorsqu'on est arrivé sur le plateau, consistait juste en des conversations avec Yórgos. On discutait de comment les choses se déroulaient, et s'il y avait un souci on en parlait en privé. Je ne sentais pas vraiment le besoin de m'immiscer, de garder les yeux sur le moniteur. Yórgos a un grand contrôle créatif qui lui est propre. Mon rôle consistait surtout à supporter cette vision, et à beaucoup parler de Bella.
Q : Que pensez-vous de la relation qu'entretiennent Bella et le Docteur Baxter, joué par Willem Dafoe ?
E.S. : Ils ont une relation très compliquée, évidemment (rires). Quand j'ai lu le script pour la première fois, j'ai vu Baxter comme un personnage froid et insensible. Willem lui a apporté une chaleur qui a rendu la relation encore plus complexe, et je pense que c'est une bonne chose. A mon sens, le film parle surtout des hommes qui entourent Bella. Ce qu'ils attendent d'elle, ce qui les lient à elle... Je crois que ce semblant d'amour paternel grandissant que Baxter ressent à son égard le surprend, mais il essaye de rester froid et effacé. Il veut la voir comme une de ses créations et pas comme un être humain. Il comprend très vite qu'il ne va pas pouvoir la retenir et qu'il ne peut pas attendre d'elle qu'elle soit comme ça. Cette idée lui apporte un amour qu'il n'avait jamais connu dans sa vie. Je trouve leur relation magnifique même si, effectivement, c'est aussi fucked up (rires).
Q : Le film a beaucoup de grands décors et d'effets visuels. Comment était-ce, en tant que comédiens, d'interagir avec ce monde sur le plateau ?
E.S. : James Price, les chefs décorateurs du film, viennent de deux mondes très différents. Yórgos leur a demandé de travailler ensemble, ils ne se connaissaient pas et ne savaient pas si ça allait marcher. Je pense que ce qu'ils ont fait est un chef-d'œuvre. Être dans un monde entièrement fabriqué, un monde qui existe à travers les yeux de Bella, et y jouer Bella marchant à travers Lisbonne ou sur le bateau, ça a rendu mon travail tellement facile. Il y avait tellement de détails partout, tout était pensé avec créativité et originalité. Je crois que tous les acteurs l'ont vécu comme ça. Quand on est arrivé dans le décor de Lisbonne, il nous a fallu 45 minutes pour tout visiter. L'hôtel, les restaurants, les allées... Et tout était réel ! Au moment du tournage, c'était le plus gros plateau en Europe. Ce qu'ils ont réussi à accomplir, de la conception jusqu'au design, était vraiment époustouflant. Shona Heath et
Q : Et Bella prend également vie grâce à ses costumes. Etiez-vous aussi investie dans ce processus ?
E.S. : Oui ! Holly Waddington, notre conceptrice des costumes, est absolument brillante et très attentive aux détails elle aussi. Ce n'est pas une coïncidence que Yórgos, "
Yórgos, Holly et moi avons testé des formes et des couleurs, pour voir ce qui fonctionnait. Et au fur et à mesure de ces tests, on a commencé à parler de l'arc d'évolution de Bella. Au début, elle est corsetée, comme emballée dans du papier bulle. Puis, Mrs Prim l'habille. Et lorsqu'elle voyage, elle choisit elle-même comment elle s'habille. Elle se dit " Monsieur Détail" , ait toutes ces personnes fascinées par les détails dans son équipe. On a discuté ensemble sur une longue période, à commencer par le premier essayage de costumes. Ensuite, je suis allé à Athènes quelques mois avant d'aller à Budapest pour le tournage. Là-bas, Bella. Ils racontent une histoire énorme sur la personne qu'elle est. Ça, c'est des shorts, je sais que je dois mettre quelque chose en bas donc j'en porte, et puis je mets un chapeau parce que je voyage !" . Et ensuite, ça commence à se structurer, à devenir moins coloré et un peu plus mature. Les costumes, en plus d'être magnifiques, étaient aussi une source d'informations sur
Q : La façon très particulière dont Yórgos Lánthimos filme change-t-elle la façon dont vous jouez d'habitude ?
E.S. : Et bien, j'espère qu'il n'y a pas " d'habitude ". C'est de ma faute si on sent qu'il y a une habitude. Je pense, et j'espère, que chaque rôle que tu incarnes est différent, si tu fais ton travail correctement (rires). Je ne pense pas que ce film était plus différent qu'il n'aurait dû l'être...
Q : Si vous deviez définir le film en un seul mot, quel serait-il ?
E.S. : UN MOT ? (rires) Oh mon Dieu ! (ndlr : elle hésite) Que quelqu'un me donne une idée !
Q : Un chef-d'œuvre ?
E.S. : Ooooh ! Partons sur ça ! (rires)

Propos recueillis par William François.