LOST IN TRANSLATION ETRANGERS FAMILIERS (Entretien avec Antoine Oury) : « Des gens ont pu dire « ce film a changé ma vie » «

Par Cliffhanger @cliffhangertwit

Quand deux dingues de Lost In Translation se rencontrent... Antoine Oury, journaliste à actualitte.com a écrit Lost In Translation, étranger familiers.(2023) publié aux éditions LettMotif. Discussion forcément passionnante et passionnée dont voici un résumé forcément synthétique !! :


Le livre démontre bien dans sa première partie le fil ténu entre fiction et réalité dans la démarche de Sofia Coppola. Comment tu décrirais l'émotion presque subliminale qui est ainsi transmise au spectateur ?
Antoine, ton parcours en quelques mots ?Comme ce fut le cas dans Virgin Suicides, à l'image entre autres de " Alone In Kyoto ", L'alchimie entre le pop rock électro planant de la musique de Brian Reitzell, cette dream pop et la façon de déployer les images, la lumière, la photographie de l'ambiance Coppola, tu dirais que c'est une des plus belles alchimies entre compositeur et auteur ?

J'ai une formation de journalisme, j'ai fait mes études à Paris. J'ai suivi un cursus littéraire, et j'ai suivi une spécialisation en journalisme culturel. Et depuis maintenant plus de 10 ans, je travaille pour un site qui s'appelle actualitte.com, qui s'intéresse à tout ce qui concerne le monde du livre et de l'édition au sens large, des auteurs aux libraires, en passant par les bibliothécaires et les éditeurs bien sûr. Toute la chaîne du livre en fait. En parallèle, et ça remonte à quelques années maintenant, quand je poursuivais mes études et que je commençais à entrer dans la vie active, j'ai participé à un site que tu connais peut-être, qui s'appelle Critikat.com, un site de critiques de films. Quand le livre est paru, j'ai d'ailleurs envoyé un message aux fondateurs du site pour les remercier car c'était aussi grâce à eux et grâce au site, car il existait un comité de lecture très sérieux sur les articles. C'était une formation très riche et qui a permis de façonner mon esprit critique sur le cinéma. L'écriture du livre s'est fait aussi en réécoutant la bande originale, pour les 20 ans du film, après l'avoir revu, pris des notes, et tout ça a grossi pour arriver à un livre court, mais une analyse assez longue.

Effectivement, tu parles de " subliminal ", le film arrive à jouer sur une très forte empathie en jouant sur cette porosité entre le réel et la fiction. On se met facilement à la place des personnages car leurs réactions sont très compréhensibles et qui ne sont pas celles qu'on pouvait attendre. Ici on a des personnages qui ont des réactions tout en nuances, ils ne savent pas trop où ils vont. Et je trouve que cette absence de fil conducteur à la fois sur le scénario et sur les caractères des personnages, c'est quelque chose que l'on retrouve dans la vie. Souvent, on est dans le même cas de figure que Charlotte et Bob, on fait du mieux qu'on peut. Dans les 20 premières minutes du film, il y a un attachement, une empathie, car on a tous été comme ça une fois dans la vie. Je trouve que dans le film, il existe comme une simplicité, une banalité dans l'approche qui rend le spectateur très empathique. On peut retrouver ça dans d'autres films, mais dans Lost In Translation, c'est vraiment sensible.

Alors cette fameuse scène de fin " le plus fameux chuchotement du cinéma " comme tu le décris dans le livre, Bill Murray l'a rendue anthologique avec son improvisation. Ce que j'en avais compris, c'est que dans le script original, ils ne disaient rien, on restait dans le suggestif. Mais quand Murray se met à parler avec le son couvert par les bruits urbains, Coppola aurait accepté de garder cette version, laissant en effet un mythe s'installer. Sauf que... un internaute sur Youtube après un nettoyage de la piste et avec un amplificateur de son semble clairement réussir à dégager ce que dit Bill Murray. Un commentaire ?

Tu évoques dans le livre une torpeur, qui caractérise en effet pleinement Lost in Translation, comment tu la différencies des longueurs ? Terme peut-être plus péjoratif.
C'est souvent ce qu'on lui reproche. Alors que paradoxalement, je trouve qu'il se passe quand même beaucoup de chose, et au final on n'a pas le temps de s'ennuyer, le film est assez court, c'est une histoire assez ramassée. C'est 9 jours qui sont couverts sur le film et c'est même assez trépidant en 1H30, alors que les existences des personnages vont être bouleversées. Je trouve qu'au contraire, c'est un film qui arrive à dire beaucoup de choses avec peu de moyens. Alors, cette longueur, je dirai qu'elle est assez esthétisée par Coppola. Comme quand Charlotte regarde le paysage avec cette musique, ce n'est pas une longueur qui pèse sur le film. On a envie de se laisser porter dans justement une ville qui va à 100 à l'heure, avec certes des personnages qui ressentent de l'ennui et une forme de mélancolie. Le film ne s'interdit pas de prendre du temps avec ses personnages. Ces moments de longueurs sont très importants dans le film car il montre qu'à l'intérieur, il existe des désordres qui sont très forts malgré le cadre apparent.

On a parlé de cette alchimie finalement artistique entre Coppola et Brian Reitzell, tu peux nous donner le contexte de l'interview de Brian qui est dans ton livre ? Où ? Quand ? comment ?

Oui clairement, il existe quelque chose de l'ordre de l'alchimie parfaite. Ils se connaissaient avant bien sûr avec Virgin Suicides. Cette BO m'avait moins marqué, mais en le réécoutant quelques années après, c'est quand même phénoménal. Coppola s'est rendue compte, même si elle le savait sans doute avant, que la musique avait vraiment une puissance incroyable au cinéma. Elle demande donc à Reitzell de lui faire cette fameuse compilation Tokyo Dream Pop pour écrire son scénario. Elle s'appuie sur la musique pour concentrer ses émotions, son vécu, l'inspiration, l'envie de faire jouer Bill Murray. Des compilations qui se retrouveront en partie dans la BO du film. C'est vraiment quelques choses qui est très marquant dans leur collaboration, et qui se retrouvera aussi avec Marie-Antoinette, car là aussi la BO est très adaptée au film, ce qui est moins le cas avec The Bling Ring. Le son était plus électro et Reitzell m'en a moins parlé, j'en ai déduit qu'ils avaient peut-être un peu " passé leur moment " . Ce qui reviendra peut-être, je leur souhaite. Mais oui sur les trois premiers films, l'alchimie est là !!

Le caractère platonique, suggestif de leurs relations, en termes d'envie réprimées (il lui touche le pied sur le lit, pas la main...), d'impossibilités respectives n'est-il pas finalement plus fort que n'importe quelle autre histoire d'amour filmée qui respecte des codes bien plus convenus ?

La description que t'a faite Reitzell de la scène mythique du Karaoké est folle !! Entre les excès de Saké, les impros de Bill et Scarlett, qui ne correspondent pas à la commande initiale, et au final la scène est pourtant une pépite dans ce qui se joue entre eux sur le non-dit. C'est aussi ton avis après avoir eu ce passionnant envers du décor ?

Bien sûr, on la retient d'autant plus car Coppola joue avec nos attentes. On nous dirige vers une romance. La première fois que je l'ai vu, j'étais tombé dans le panneau. Charlotte et Bob se retrouvent alors que leur compagnon et compagne respectives les délaissent. Ils sont isolés. C'est la situation parfaite pour un adultère. Le fait que le spectateur soit dans l'attente, avec ces secrets pas dévoilés, c'est en effet beaucoup plus marquant que plein d'autres histoires. Alors ce qui joue aussi beaucoup, c'est la fin bien sûr, car tout le monde se souvient de ce chuchotement, pour des spectateurs habitués à tout savoir. C'est l'élément clef de cette histoire.

C'est marrant car dans le livre, je n'en fais pas état. Effectivement, j'ai vu cette vidéo en faisant mes recherches pour le livre, je l'ai regardée et figure-toi qu'avant que tu m'en reparles maintenant, j'avais même oublié ce que Murray avait dit. Car en fait, je n'ai pas envie de savoir, même si cette personne a bien le droit de faire cette vidéo, je trouve que ça n'a aucun intérêt car le film est comme ça. Avec justement cette beauté. Essayer de savoir à tout prix ce qu'il dit c'est amusant, mais ce n'est pas là selon moi que se trouve le vrai intérêt. Car ça doit rester entre eux deux, nous on est spectateurs, mais aussi respectueux et même admiratifs de cette histoire, de ces moments entre deux personnes sur quelques jours seulement. C'est justement ce qui fait le sel du film. Je suis allé le voir moi aussi comme tu l'as fait, mais la propre frustration de Bob et Charlotte devient celle des spectateurs et ça fait un bel écho je trouve, de sortir du film avec des émotions fortes. On a beau décrypter, j'avais essayé de savoir avant de découvrir pour le chuchotement, en me disant est-ce qu'il y a des indices, est-ce qu'il va essayer de la retrouver en voiture après etc... Et en fait non, il n'y a aucun moyen de savoir ce qui passe ensuite et c'est très bien ainsi. Et même après le générique, il y a une toute petite scène de fin et je me suis dit si ça se trouve on voit s'ils se retrouvent et j'ai pensé " oh non !! " (Rires) alors qu'en fait, cette scène est très anecdotique, mais sur le moment, j'ai eu un battement de cœur !! Le fait qu'aucun acteur, ni la réalisatrice ne balancent le truc, c'est assez fou et montre leur propre attachement au film.

Quelque chose que l'on n'a pas dit ?

Sur la musique de Lost In Translation, peu de choses existent ou alors très succinctes. Ça me tenait vraiment un cœur car cette BO est vraiment culte pour moi. Et ça s'est fait très facilement. Un mail à son attaché de presse et Reitzell m'a contacté, très sympa, adorant parler de son travail, et très content de parler de Lost In Translation. Ça a duré un peu plus de deux heures. Tu lui poses une question, il va retourner le sujet et l'aborder sous divers angles ce qui est passionnant. Le livre était pratiquement terminé quand je l'ai interviewé, mais ça m'a permis de vérifier quelques intuitions que j'avais.

Merci beaucoup Antoine, à bientôt sur un grand écran pour voir et animer ensemble une soirée Lost in translation ?

Oui, pour cette scène du karaoké, ce qui m'a beaucoup marqué c'est cet échange de regards. Qui laissent entendre cette attirance et la possibilité d'une romance, avec en même temps la présence déjà d'une mélancolie de se dire ça ne pourra jamais marcher, ce n'est pas possible, et il faut qu'on profite de ce moment car c'est ce qu'on a de plus précieux. Dans cette scène du karaoké, effectivement, comme tu le dis rien ne se passe comme prévu. Et comme d'autres moments dans le film, qui est parfois presque fait de bric et de broc alors que Coppola aurait pu jouer de son nom, ce qu'elle n'a sans doute pas voulu faire, ça fonctionne et c'est même assez fou et avec finalement des scènes d'anthologie.
Lost In translation, étrangers familiers, comment on se le procure ?

On peut se le procurer sur le site de l'éditeur : LettMotif. Certaines librairies ont joué le jeu et le distribuent mais bien sûr par commande avec tous les libraires.

On s'est rendu compte avec mon éditeur que ce film a marqué beaucoup de monde, et même des gens qui ont pu dire " ce film a changé ma vie " et malgré ses moyens mesurés, le film a eu un impact vraiment fort !! Tu parlais d'une vidéo sur Youtube, j'en ai découvert une autre très bien faite sur un faux Lost In Translation 2 !! En espérant bien sûr que ça n'arrive jamais, même si toi comme moi, on irait le voir avec beaucoup d'angoisses !!

Merci beaucoup à toi et quand tu veux !!!

Propos recueillis par JM Aubert