Bâtiment 5 (2023) de Ladj Ly

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Voilà un film attendu, ou plutôt son réalisateur est attendu au tournant avec ce second long métrage après le succès mérité pour l'excellent "Les Misérables" (2019). Entre temps le cinéaste a co-écrit les scénarios des films "Athena" (2022) de Romain Gavras et "Le Jeune Imam" (2023) de Kim Chapiron. Pour ce nouveau projet personnel le réalisateur-scénariste Ladj Ly reste dans son domaine de prédilection et dans sa zone de confort mais cette fois il raconte la banlieue sous un autre angle plus politique et social : "Si ce film s'intitule Bâtiment 5, c'est parce que c'est précisément dans cet immeuble que j'ai grandi. J'ai vu le plan de rénovation urbaine, un des plus importants du pays, se mettre en place, mais aussi comment la population des quartiers en a été victime. L'expropriation des gens avec rachat de leurs appartements à des montants ridicules montrée dans ce film est une réalité qui m'a marqué. Il faut appeler les choses par leur nom, ça a été une gigantesque arnaque." Ladj Ly co-signe son scénario avec Giordano Gederlini qu'il retrouve après "Les Misérables" (2019), et qui a réalisé entre temps "Entre la Vie et la Mort" (2021). Au départ, ce second film devait être le second d'une trilogie autour du maire de Clichy-sous-Bois entre 1995 et 2011, Claude Dilain : "Le point de départ de Bâtiment 5 était Claude Dilain. Je l'ai connu, trouvais son parcours intéressant à raconter mais au fil du temps et de l'écriture, le projet a basculé vers autre chose. D'autant plus quand un documentaire sur son histoire est entre temps apparu. Une fiction autour de lui aurait fait double emploi. Le scénario est donc parti sur d'autres pistes, mais j'ai conservé un personnage de maire et la toile de fond de l'habitat social qui était un des combats de Dilain."... 

Haby, une jeune femme très impliquée dans la vie de sa ville découvre le nouveau plan de réaménagement du quartier dans lequel elle vit. Ce projet mené par le nouveau maire, Pierre Forges un jeune pédiatre, il prévoit entre autre la destruction du bâtiment 5 l'immeuble où Haby a grandi. La jeune femme va tenter de faire bouger les choses et se battre contre ce projet et contre le maire... La jeune femme Haby est interprétée par Anta Diaw pour son premier rôle à l'écran, remarquée par Ladj Ly lors d'un casting sauvage pour le film "Le Jeune Imam" (2023). Le maire est incarné par Alexis Manenti vu récemment dans "Dalva" (2022) de Emmanuelle Nicot ou "Le Ravissement" (2023) de Iris Kaltenbäck, et retrouve Ladj Ly après "Athena" (2022) de Gavras et surtout "Les Misérables" (2019) après lequel il retrouve aussi son partenaire Steve Tientcheu vu dernièrement dans "Sage-Homme" (2023) de Jennifer Devoldere, "AKA" (2023) de Morgan S. Dalibert et "Normale" (2023) de Olivier Babinet, ils retrouvent aussi après le premier film de Ladj Ly l'actrice Jeanne Balibar vue depuis dans "Illusions Perdues" (2021) de Xavier Giannoli et "Le Processus de Paix" (2023) de Ilan Klipper. Citons ensuite Aurélia Petit vue dans "Une Histoire d'Amour et de Désir" (2021) de Leyla Bouzid et "Saint Omer" (2022) de Alice Diop, Bass Dhem vu dans "Dheepan" (2015) de Jacques Audiard, "Divines" (2016) de Houda Benyamina ou "Mignonnes" (2020) de Maïmouna Doucouré, Stefan Godin vu dans "Le Chant du Loup" (2019) de Antonin Baudry ou "J'Accuse" (2019) de Roman Polanski, François Pérache aperçu dans "Annie Colère" (2022) de Blandine Lenoir, "La Syndicaliste" (2022) de Jean-Paul Salomé et "Les Algues Vertes" (2023) de Pierre Jolivet, puis Christophe Vandevelde apparru dans "Sur mes Lèvres" (2001) de Jacques Audiard, "Plonger" (2017) de Mélanie Laurent et du film collectif "Selfie" (2019)... Après le film "Les Misérables" (2019) plutôt très viril le cinéaste offre le rôle principal à une jeune femme ce qui n'est pas anodin rappelant que les femmes "Elles existent, sont fortes, se battent. L'image que l'on a de femmes des quartiers, qui seraient cachées est un cliché. Elles sont au contraire très présentes, actives, notamment dans le milieu associatif..." Par là même Ladj Ly promets un film plus politico-social que son précédent film et quitte donc le genre du polar ou du drame policier pour un oeil plus humaniste et sociétal des banlieues.

Malheureusement, le naturel revient au galop et alors qu'on pensait que l'intrigue serait plus politico-social l'oeil pamplétaire anti-flic est omniprésent et parasite le propos de fond et sa problématique du logement. Un regard anti-flic presque hors sujet avec son lot d'approximations gratuites et/ou de caricatures (confondre police municipale et police nationale, voir des bavures plus ou moins nettes partout, ... ). Pourtant on perçoit toujours la volonté du réalisateur-scénariste à éviter tout manichéïsme comme quand on jeune incendiaire se plaint d'être vu comme un casseur (?!). Idem on sourit vert quand ça se plaint en mode complotiste sur un incendie sans se poser les bonnes questions, sans se remettre en cause sur l'existence d'un restaurant clandestin et donc sans la moindre norme de sécurité. En fait on salue la lucidité de Ladj Ly sur ces cités délabrées et surtout sur les habitants qui voudraient tout (oubliant par là même que partout en France existe des immeubles aussi vieux mais pas dans un tel état...), qui demandent avec agressivité que ce soit au maire, à la police ou même à ceux qui veulent les aider. Le cinéaste impose des situations capillotractées (comme si on virait tout un immeuble aussi vite et aussi facilement !) et cherche le maximum de symboles pour marquer les esprits, mais il use de maladresses également comme autant de balles dans le pied qui parasitent un peu son message. Niveau moyens et budget, le cinéaste a été bien plus à son aise mais a su garder son style, nerveux et direct. Par contre, après l'uppercut de son premier film il tombe plus dans la facilité et les raccourcis faciles pour un scénario plus démago avec les pieds dans le tapis. Intéressant et d'actualité mais ça propension à tirer sur l'ambulance gâche un peu l'ensemble et le fait sortir du sujet (le mal logement et l'urbanisme social). On terminera sur le casting, belle révélation avec Anta Diaw, un très bon Alexis Manenti et surtout, un charisme de dingue pour Steve Tientcheu.

Note :                 

11/20