Aguirre la Colère de Dieu (1972) de Werner Herzog

Si on peut citer le chef d'oeuvre "Mission" (1985) de Roland Joffé ou plus récemment le film "Oro la Cité Perdue" (2018) de Agustin Diaz Yanes le Nouveau Monde et l'Eldorado reste un sujet rare au cinéma d'autant plus vrai au début des années 70. Après deux longs métrages de fiction en solo remarqués, "Signes de Vie" (1968) et "Les Nains aussi ont commencé Petits" (1970), il signe deux documentaires importants sur des handicaps, "Au Pays du Silence et de l'Obscurité" (1971) et "Fata Morgana" (1971). Juste après il part au Pérou et entreprend un projet aussi ambitieux que fou (à l'instar de son personnage principal !), retracer de façon romancée la quête de l'Elorado. Werner Herzog assume les postes de Producteur-réalisateur-scénariste pour cette histoire pour laquelle il s'inspire du journal tenu par le missionnaire Gaspar de Carvajal (Tout savoir ICI !), puis par le destin de deux conquistador, Lope de Aguirre (Tout savoir ICI !) et Pedro de Ursua (Tout savoir ICI !) tout en les faisant croisés Gonzalo Pizarro pourtant mort en 1548, alors que les deux précédents meurent en 1961 justement dans l'expédition qui intéresse Werner Herzog, et alors que Carvajal n'a sans doute pas croisé les deux conquistadors. Pour ce film il collabore avec une équipe technique (dont le Directeur Photo, la monteuse et le compositeur) qui seront fidèles sur la plupart de ses films jusque dans les années 80. Il en faut des fidèles pour le suivre sur un tel projet dont le budget de "seulement" 370000 dollars est déjà assez dingue pour un tournage au Pérou dans les milieux naturels de la jungle amazonienne au pied des Andes. Résultat, le tournage va entrer dans la liste des tournages les plus dantesques, d'abord dans storyboard, tous les plans vont être improvisés au fur et à mesure, puis le cinéaste tournera avec un minimum de sécurité pour une question d'économie et pour aussi optimiser le réalisme. Le film va devenir culte, autant pour son tournage hors normes que pour sa quête vers la folie de l'or...

Aguirre la Colère de Dieu (1972) de Werner Herzog

1560, une troupe de conquistadors accompagnés de 200 esclaves indiens descendent des montagnes pour atteindre l'Amazone d'où ils doivent organiser une expédition afin de trouver l'Elodrado dont leur à parler les autochtones. Alors que la troupe est sous les ordres de Pedro de Ursua, son second Lope de Aguirre qui ne l'estime pas finit par fomenter une mutinerie et et impose un noble falot comme "Empereur de l'Eldorado"... Le rôle titre est incarné par Klaus Kinski, connu comme le bossu dans "Et pour Quelques Dollars de Plus" (1965) de Sergio Leone, remarqué dans "Le Docteur Jivago" (1965) de David Lean, il passera un cap avec "Le Grand Silence" (1968) de Sergio Corbucci et "Justine ou les Infortunes de la Vertu" (1969) de Jesus Franco, mais surtout il va devenir l'acteur fétiche de son réalisateur Werner Herzog malgré une relation admiration /haine qui se façonnera au fil des films avec "Nosferatu, Fantôme de la Nuit" (1979), "Woyzeck" (1979), "Fitzcarraldo" (1982) et "Cobra Verde" (1987). Son supérieur le seigneur Pedro de Ursua est interprété par Ruy Guerra d'abord connu comme un des chefs de file de la nouvelle vague brésilienne le Cinema Novo, il réalise ainsi "Les Fusils" (1964) ou "Les Dieux et les Morts" (1970) il fait aussi l'acteur de façon épisodique comme dans "Le Maître du Temps" (1970) de Jean-Daniel Pollet et "Les Soleils de l'Ile de Pâques" (1972) de Pierre Kast. Tandis que le missionnaire Carvajal est joué par Del Negro vu notamment dans "Les Félins" (1964) de René Clément, "Atout Coeur à Tokyo pour OSS 117" (1966) de Michel Boisrond et "Les Ennemis" (1968) de Hugo Claus. Citons encore Helena Rojo vue ensuite dans "Espejjsmo" (1972) de Armando Robles Godoy, "Foxtrot" (1976) de Arturo Ripstein et "La Gran Aventura del Zorro" (1976) de Raul de Anda Jr., Peter Berling acteur qui tournera plusieurs fois pour Rainer Werner Fassbinder, Jean-Jacques Annaud ou même Martin Scorcese et qui retrouvera Herzog et Kinski sur "Fitzcarraldo" (1982) et "Cobra Verde" (1987), Daniel Ades vu dans "L'Affaire Al Capone" (1967) de Roger Corman et "La Cible" (1971) de Peter Bogdanovich, puis enfin citons plusieurs acteurs dont ce sera la premier et unique rôle comme Armando Polanah, Alejandro Repullès, plusieurs indiens et la jolie Cecilia Rivera, la virginale fille de Aguirre...

Aguirre la Colère de Dieu (1972) de Werner Herzog

Le tournage est donc déjà une aventure à lui seul et nourrira aussi la mythologie autour du film. Un tournage périlleux où le réalisateur prit des risques énormes, comme dévaler la montagne sans sécurité minimum, comme filmer au milieu des rapides, osant des prises de vue irresponsables vis à vis de son équipe dont des noyades évités de justesse. Werner Herzog précise : "Je n'étais jamais allé au Pérou avant de tourner Aguirre. J'avais imaginé les extérieurs, leur atmosphère, avec une grande précision. C'était très curieux. Tout était exactement comme je l'avais imaginé. Les extérieurs n'avaient pas le choix. Il fallait qu'ils se plient à mon imagination, qu'ils se soumetten à mon idée. C'est ce qui s'est produit. Les paysages ont répondu à mon appel. J'ai choisi le Pérou parce qu'il me fallait un affluent de l'Amazone et des indiens. J'ai descendu la plupart des affluents de l'Amazone parce qu'il me fallait trouver des rapides dangereux et spectaculaires, mais pas ua point d'interdire un tournage. J'ai donc descendu le rio Huallaga, le rio Urubamba et le rio Ukayali, et bien d'autres encore. Finalement j'ai trouvé des rapides très dangereux et spectaculaires, qui auraient tout juste toléré le passage de 150 personnes en radeaux. Les préparatifs furent extrêmement longs. Il n'y avait aucun village près des rapides. J'en ai donc fait construire un pour environ 450 personnes." Mais le plus marquant reste la relation explosive entre Herzog et son acteur principal, Kinski étant connu pour ses colères hystériques, au point que Herzog le menaça d'une arme à feu avant de retourner l'arme contre lui, ou le plus hallucinant, Kinski était si détesté que les indiens (du Laramarca) ont proposé (littéralement et réellement !) de tuer l'acteur ! Un conflit qui sera d'ailleurs relaté par Herzog dans son superbe documentaire "Ennemis Ennemis" (1999). Notons également qu'il a fallu engager 450 figurants notamment pour jouer 270 villageois, et acheter pas moins de 400 singes pour une des scènes clés du film.

Aguirre la Colère de Dieu (1972) de Werner Herzog

Le film débute avec un défilé vertigineux comme un sillon creusé dans les Andes enveloppées d'un écrin de brume. A la fois hors du temps et si immersif on se retrouve au sein d'une caravane d'hommes en armes et d'esclaves qui s'enfoncent dans la jungle équatoriale dont on ressent toute la densité, la chaleur et surtout l'humidité. Les décors reposent essentiellement sur les paysages des fleuves, affluents de l'Amazone, tandis que les costumes ont une réelle force d'authenticité pour une reconstitution historique qui participe à la sensation d'être dans un quasi docu-fiction. On peut trouver dommage que historiquement ce soit un peu faussé (voir premier paragraphe), alors que l'histoire vraie de Aguirre comme de Ursua valent bien un film. Néanmoins, Herzog signe un scénario tout à fait vraisemblable et cohérent, et instaure une atmosphère et un climax qui ne l'est pas moins, les relations entre les personnages sonnent justes, mais ce sont la folie qui s'impose insidieuse et angoissante et cette présence des indigènes comme des fantômes invisibles qui font aussi l'intérêt du récit avec, en prime, la performance hallucinée et habitée de Klaus Kinski en mégalo illuminé nommé Aguirre. Envoûtant et hypnotique le film nous plonge dans un pan d'Histoire avec des images démentes (le bateau dans la canapée) où même la foi est ébranlée : "L'Eglise a toujours été du côté du plus fort !". Werner Herzog signe un grand film, un chef d'oeuvre à voir absolument.

Note :

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20/20